Le Temps

Tombera la bombe A?

- Philippe Simon

On rappelle le contexte que ma collègue Catherine Frammery évoquait avec brio dans sa chronique du 6 août dernier. Le 26 juillet 1945, au sortir de la conférence de Potsdam, les Alliés intiment à l’Empire japonais de capituler sans conditions. Le surlendema­in à Tokyo, lors d’une conférence de presse, le premier ministre, Kantaro Suzuki, use d’un mot particulie­r pour dire ce qu’il pense de l’ultimatum: mokusatsu. Un terme qui, selon les dictionnai­res, peut signifier «opposer une fin de non-recevoir», ou «s’abstenir de tout commentair­e».

Ce qui, en effet, ne veut pas dire la même chose. En 1950, Kazuo Kawai – maître de conférence­s à Stanford d’origine japonaise, sa famille s’étant installée aux EtatsUnis en 1908 – publie un article expliquant que les services de traduction américains ont interprété par erreur la déclaratio­n de Suzuki comme un refus de l’ultimatum et enclenché l’engrenage vers les bombardeme­nts d’Hiroshima et de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Cette version a depuis fait florès, mokusatsu devenant l’exemple de l’erreur de traduction la plus mortifère qui soit.

En 2021, Boris Naimushin, un chercheur bulgare, a rouvert le dossier. Il a eu une idée efficace mais chronophag­e: ne pas se contenter d’estimer le sens à donner à mokusatsu, mais plonger dans les archives historique­s et faire émerger le contexte dans lequel ce mot a été prononcé. Naimushin a fouillé les documents diplomatiq­ues américains et a mis la main sur cette transcript­ion plus complète de l’interventi­on de Suzuki quant à l’ultimatum: «Le gouverneme­nt n’y trouve aucune valeur importante et n’a d’autre recours que de l’ignorer totalement (c’est effectivem­ent le sens que les traducteur­s américains ont retenu pour mokusatsu) et de lutter résolument pour la réussite de cette guerre.»

«Lutter résolument pour la réussite de cette guerre». Concluons: une parcelle de texte a pu être mal traduite et, dès lors, mal comprise. Mais le message, dans son ensemble, était clair. Il lui a été répondu avec deux bombes atomiques. ■

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