Le Valais accueille Janine Jansen, médaille d’or du violon
La musicienne néerlandaise joue coup sur coup au Gstaad Menuhin Festival puis au Sion Festival, dont elle est devenue la codirectrice. Elle explique la musique en famille et le besoin de transmettre son enthousiasme
Si la musique était une arène olympique, Janine Jansen décrocherait une médaille d’or. La violoniste néerlandaise est non seulement une violoniste de premier plan, c’est aussi une femme généreuse d’elle-même, une collègue et une enseignante aimée. Rien n’a entamé sa modestie et son enthousiasme, alors qu’elle est, depuis une vingtaine d’années, une star de l’instrument grâce à un jeu d’une puissance expressive exceptionnelle, une sonorité pleine, large, vibrante et une technique en acier. On ne compte plus ses enregistrements des plus hauts chefs-d’oeuvre du répertoire, tous couronnés de distinctions.
Sur scène, Janine Jansen est une chamane. Elle danse ce qu’elle joue, incarne la musique par tout son corps, relançant le dialogue avec l’orchestre, le chef ou ses partenaires en musique de chambre. On aura un nouvel aperçu de cette manière si passionnelle de se jeter dans le concert comme dans une transe à plusieurs reprises dans la région ces prochaines semaines, à Gstaad puis à Sion.
L’un des hauts faits de sa carrière remonte à 2021, lorsqu’une fondation spécialisée dans la conservation des violons de Stradivarius a réuni 12 instruments du luthier légendaire, parmi les plus prestigieux. Et c’est à Janine Jansen qu’il a été proposé de les jouer en interprétant sur chacun d’eux une oeuvre à laquelle chaque violon se prêterait le mieux. Il en est résulté un disque, enregistré avec le chef Antonio Pappano au piano. Et, pour la violoniste, quinze jours de fréquentation des violons parmi les plus rares et les plus chargés d’histoire, qui ont souvent appartenu à des maîtres de l’instrument.
«C’était une expérience incroyable, un privilège inouï, se souvient-elle lorsqu’on l’évoque en interview par écran interposé, alors qu’elle répète à Londres. Bien sûr, j’ai joué plusieurs stradivarius, dont celui que j’ai actuellement, le Shumsky-Rode, prêté par un mécène. Mais j’en touchais beaucoup pour la première fois, et jouer Liebesleid sur le violon qui a appartenu à Fritz Kreisler, c’est intimidant. A travers ces instruments, vous vous connectez avec les voix de ceux qui les ont joués… » Janine Jansen a connu un parcours typique des musiciens du Nord européen, où la musique reste souvent une activité familiale.
Son père était organiste, sa mère chanteuse lyrique, ses frères et soeurs pratiquent tous un instrument à un haut niveau. La musique était donc une affaire d’ensemble – elle a enregistré avec une partie d’entre eux un merveilleux disque des concertos de Bach: «Je crois que c’est la meilleure manière d’apprendre. En outre, j’ai eu la chance d’avoir une professeure très admirée aux Pays-Bas, Coosje Wijzenbeek. Bien sûr, le violon c’est énormément de travail, mais mon père, qui m’accompagnait souvent au piano, faisait en sorte que dès le début, ce soit de la musique et pas seulement des écarts de justesse. Et cette manière de jouer ensemble est pour moi la meilleure manière de transmettre».
Récemment, Janine Jansen s’est ainsi mise à l’enseignement. Notamment à l’HEMU de Sion, depuis cinq ans. Sion? Alors que les plus grandes capitales la réclament? «J’ai une histoire ancienne avec cette région. Enfants, nous venions en famille avec notre caravane au camping de Vissoie tous les étés. Mes parents adoraient la randonnée. J’ai grandi avec cette partie du monde et j’y suis beaucoup revenue plus tard, à mon tour, pour la pureté de l’air, la grandeur des paysages. J’y fais le plein d’énergie.»
Tout naturellement, elle a tissé des liens avec le Sion Festival, fondé par le violoniste Tibor Varga à l’intention du seul violon. Depuis qu’il a été repris par Pavel Vernikov, dont elle a hérité de la classe à l’HEMU, Janine Jansen s’y est souvent produite. Et depuis cette année, elle en est la codirectrice. Ce qui veut dire? «Nous construisons le programme ensemble avec Pavel Vernikov. Chacun apporte ses idées d’oeuvres, d’artistes. Je profite de l’expérience acquise dans le festival dont je m’occupe depuis vingt et un ans, à Utrecht, dans mon pays natal.»
«La pureté de l’air, la grandeur des paysages de la région de Sion me permettent de faire le plein d’énergie» JANINE JANSEN, VIOLONISTE
Mendelssohn, encore et encore
Comble du luxe, elle s’y produira quatre fois cet été dans des formations de musique de chambre, associant parfois des étudiants de haut niveau à des musiciens chevronnés. Dans ce mini-festival Jansen, un concert particulièrement remarquable: le Quatuor pour la fin des temps d’Olivier Messiaen où la violoniste est rejointe par une poignée de musiciens magnifiques.
Mais avant cela, Janine Jansen retrouvera au Gstaad Menuhin Festival l’une de ses oeuvres fétiches, le concerto de Mendelssohn. Elle a dû le jouer cent fois – et elle en a réalisé un enregistrement de référence, il y a déjà 17 ans. «Cent fois? Je ne sais pas, je n’ai pas compté. Mais ce concerto fait partie des ouvrages où je peux revenir sans cesse, comme ceux de Brahms, Beethoven ou Sibelius. J’y découvre chaque fois quelque chose de nouveau. Et puis, cette oeuvre a une résonance particulière parce que je l’ai jouée pour la première fois, très jeune, avec mon père qui dirigeait un orchestre de jeunes à Utrecht. Il faisait un froid de canard et l’acoustique était nulle, mais c’était une telle émotion!»
Pourtant, son appétit est trop grand pour qu’elle se limite aux chefs-d’oeuvre consacrés. Très active sur la scène contemporaine, elle en joue de nombreuses pièces, comme celles de la Suédoise Britta Byström. Ou du compositeur vaudois Richard Dubugnon. Elle a créé son concerto pour violon il y a 15 ans et, depuis, leur collaboration n’a plus cessé. Elle jouera de lui, à Sion, le Poème élégiaque pour violon, quatuor à cordes et piano, créé en décembre dernier à Utrecht et qui connaîtra à Sion sa première suisse. Parmi les musiciens qui joueront l’oeuvre avec elle, le chef et violoncelliste suédois Daniel Blendulf, qui est aussi son mari. Affaire de famille, encore et toujours… ■