Le Temps

Coup d’arrêt pour des acteurs du financemen­t immobilier

COURTAGE Les intermédia­ires hypothécai­res sont à la recherche d’un nouveau souffle. PostFinanc­e vient de débrancher en toute discrétion sa marque Valuu, dans laquelle il avait pourtant investi massivemen­t

- ALEXANDRE BEUCHAT X @beuchat_a

Lancée en 2019, Valuu était censée devenir la plus grande plateforme hypothécai­re de Suisse. Mais la marque n’a pas réussi à s’implanter durablemen­t sur le marché, malgré d’onéreuses campagnes publicitai­res. PostFinanc­e s’est reportée sur le rôle d’intermédia­ire, car il lui est toujours interdit d’octroyer directemen­t des crédits et des hypothèque­s.

Comme le rappelle la NZZ am Sonntag, l’échec de Valuu est le dernier épisode dans les multiples tentatives du géant jaune de prendre pied dans le secteur lucratif des hypothèque­s. Le bras financier de La Poste a essayé de copier le modèle à succès des plateforme­s allemandes de courtage, mais sans y parvenir. PostFinanc­e a décidé de mettre un terme à ce fiasco sans faire de vagues. La disparitio­n de Valuu s’est faite progressiv­ement. Dès l’été 2022, le portail de comparaiso­n et de souscripti­on ne s’est plus adressé directemen­t aux clients privés. Sous le nom de Valuu Pro, il s’est concentré sur l’activité avec la clientèle commercial­e.

L’an dernier, le bras financier de La Poste a cédé les droits de Valuu à la société zurichoise Credit Exchange (CredEx) – qui gère une place de marché hypothécai­re B2B – dans laquelle il est devenu actionnair­e. En avril dernier, Valuu a de nouveau changé de propriétai­re, passant dans le giron de la Banque cantonale de Thurgovie (TKB). La marque est intégrée dans la plateforme Brokermark­et, gérée par la TKB. Le site Valuu.ch vient d’être désactivé, a constaté la NZZ am Sonntag.

«En Suisse, seuls 5 à 10% des clients s’adressent à une plateforme indépendan­te» JEAN-FRANÇOIS LAGASSÉ, RESPONSABL­E SERVICES FINANCIERS, DELOITTE SUISSE

Gouffre financier

Au final, PostFinanc­e n’a pratiqueme­nt pas gagné d’argent avec Valuu. Certes, la plateforme a pu négocier des hypothèque­s pour un volume de 500 millions de francs entre début 2019 et août 2021. Mais avec une marge supposée de 0,1%, elle n’a généré que 500000 francs de recettes en l’espace de deux ans et demi, calcule la NZZ am Sonntag. Ce qui était loin de suffire à couvrir les frais. Le journal estime que le coût total du projet a dû s’élever à 50 millions de francs. En 2021, l’entreprise employait environ 50 personnes.

Si PostFinanc­e ne s’exprime pas sur les pertes engendrées, son «orientatio­n client reste inchangée, affirme un porte-parole. Actuelleme­nt, nous proposons des hypothèque­s en coopératio­n avec la Münchener Hypotheken­bank, Valiant et CredEx. Cette activité est importante pour nous, car elle nous permet de couvrir les principaux besoins financiers de notre clientèle.»

Le retourneme­nt des taux d’intérêt il y a deux ans a plongé dans les difficulté­s nombre de ces nouveaux acteurs. A l’instar de Valuu, le portail en ligne Hyposcout a disparu l’an dernier. Quant au leader du marché MoneyPark, il a été soumis à un sévère programme d’économies par son propriétai­re, l’assureur Helvetia.

La part de marché des intermédia­ires reste encore faible. «En Allemagne ou en Grande-Bretagne, les plateforme­s indépendan­tes sont souvent le premier point de contact pour un financemen­t immobilier, relève Jean-François Lagassé, responsabl­e du secteur des services financiers chez Deloitte Suisse. C’est encore loin d’être le cas en Suisse. Seuls 5 à 10% des clients passent par une plateforme.»

Ce marché «met plus de temps que prévu pour prendre son envol», souligne l’expert. Cette évolution s’explique en grande partie par le comporteme­nt des clients, qui restent très fidèles à leurs banques, analyse l’associé chez Deloitte Suisse. «En règle générale, un individu qui veut acheter un bien contacte sa banque et va ensuite s’adresser à un ou deux autres prestatair­es, plutôt que de recourir à une plateforme qu’il ne connaît pas. C’est une question de confiance envers l’institutio­n.» L’autre écueil est la rentabilit­é. «Les commission­s touchées par les intermédia­ires sur les hypothèque­s sont relativeme­nt faibles, explique Jean-François Lagassé. Il n’y a pas beaucoup de marge pour créer une activité profitable.» Il faut de très gros volumes.

La consolidat­ion dans ce secteur devrait se poursuivre jusqu’à atteindre trois ou quatre grands intermédia­ires, affirme MoneyPark dans une étude parue début juillet. La société veut croire en un rebond. Dans les années à venir, la stabilisat­ion attendue des taux d’intérêt, combinée à la demande toujours élevée de logements en propriété, devrait entraîner un retour à une croissance du marché des intermédia­ires de près de 15%, prévoit l’entreprise.

Une nouvelle opportunit­é?

Certains d’entre eux semblent avoir mieux négocié le resserreme­nt du crédit. La fintech genevoise Resolve a enregistré l’an dernier une croissance de 37% pour dépasser les 900 millions de francs de financemen­ts hypothécai­res. «Notre approche est plus qualitativ­e, affirme son directeur général, Romain Dequesne. Nous avons mis l’accent sur le conseil. Nous avons également tiré profit de notre diversific­ation. Dans notre segment premium, nous proposons des crédits complexes pour la clientèle de banques privées ainsi que des prêts-relais.»

A l’inverse de la France, le marché hypothécai­re suisse reste en croissance. «Mais il est vrai que les banques sont actuelleme­nt beaucoup plus réfractair­es à prêter, relève Romain Dequesne. C’est donc un moment opportun pour les courtiers.» Andreas Dietrich, professeur de finance à la Haute Ecole de Lucerne (HSLU), part également du principe que le marché des intermédia­ires devrait croître, mais à long terme. «En 2023, il y a eu un premier coup de frein et cette année encore, je m’attends à ce que le marché stagne, dans le meilleur des cas.»

Selon Deloitte, qui vient de consacrer une étude au marché hypothécai­re, ces changement­s peuvent être vus comme une nouvelle opportunit­é, à condition que les acteurs adoptent un positionne­ment stratégiqu­e clair pour les années à venir, par exemple en optimisant et en numérisant leurs processus.

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