Coup d’arrêt pour des acteurs du financement immobilier
COURTAGE Les intermédiaires hypothécaires sont à la recherche d’un nouveau souffle. PostFinance vient de débrancher en toute discrétion sa marque Valuu, dans laquelle il avait pourtant investi massivement
Lancée en 2019, Valuu était censée devenir la plus grande plateforme hypothécaire de Suisse. Mais la marque n’a pas réussi à s’implanter durablement sur le marché, malgré d’onéreuses campagnes publicitaires. PostFinance s’est reportée sur le rôle d’intermédiaire, car il lui est toujours interdit d’octroyer directement des crédits et des hypothèques.
Comme le rappelle la NZZ am Sonntag, l’échec de Valuu est le dernier épisode dans les multiples tentatives du géant jaune de prendre pied dans le secteur lucratif des hypothèques. Le bras financier de La Poste a essayé de copier le modèle à succès des plateformes allemandes de courtage, mais sans y parvenir. PostFinance a décidé de mettre un terme à ce fiasco sans faire de vagues. La disparition de Valuu s’est faite progressivement. Dès l’été 2022, le portail de comparaison et de souscription ne s’est plus adressé directement aux clients privés. Sous le nom de Valuu Pro, il s’est concentré sur l’activité avec la clientèle commerciale.
L’an dernier, le bras financier de La Poste a cédé les droits de Valuu à la société zurichoise Credit Exchange (CredEx) – qui gère une place de marché hypothécaire B2B – dans laquelle il est devenu actionnaire. En avril dernier, Valuu a de nouveau changé de propriétaire, passant dans le giron de la Banque cantonale de Thurgovie (TKB). La marque est intégrée dans la plateforme Brokermarket, gérée par la TKB. Le site Valuu.ch vient d’être désactivé, a constaté la NZZ am Sonntag.
«En Suisse, seuls 5 à 10% des clients s’adressent à une plateforme indépendante» JEAN-FRANÇOIS LAGASSÉ, RESPONSABLE SERVICES FINANCIERS, DELOITTE SUISSE
Gouffre financier
Au final, PostFinance n’a pratiquement pas gagné d’argent avec Valuu. Certes, la plateforme a pu négocier des hypothèques pour un volume de 500 millions de francs entre début 2019 et août 2021. Mais avec une marge supposée de 0,1%, elle n’a généré que 500000 francs de recettes en l’espace de deux ans et demi, calcule la NZZ am Sonntag. Ce qui était loin de suffire à couvrir les frais. Le journal estime que le coût total du projet a dû s’élever à 50 millions de francs. En 2021, l’entreprise employait environ 50 personnes.
Si PostFinance ne s’exprime pas sur les pertes engendrées, son «orientation client reste inchangée, affirme un porte-parole. Actuellement, nous proposons des hypothèques en coopération avec la Münchener Hypothekenbank, Valiant et CredEx. Cette activité est importante pour nous, car elle nous permet de couvrir les principaux besoins financiers de notre clientèle.»
Le retournement des taux d’intérêt il y a deux ans a plongé dans les difficultés nombre de ces nouveaux acteurs. A l’instar de Valuu, le portail en ligne Hyposcout a disparu l’an dernier. Quant au leader du marché MoneyPark, il a été soumis à un sévère programme d’économies par son propriétaire, l’assureur Helvetia.
La part de marché des intermédiaires reste encore faible. «En Allemagne ou en Grande-Bretagne, les plateformes indépendantes sont souvent le premier point de contact pour un financement immobilier, relève Jean-François Lagassé, responsable du secteur des services financiers chez Deloitte Suisse. C’est encore loin d’être le cas en Suisse. Seuls 5 à 10% des clients passent par une plateforme.»
Ce marché «met plus de temps que prévu pour prendre son envol», souligne l’expert. Cette évolution s’explique en grande partie par le comportement des clients, qui restent très fidèles à leurs banques, analyse l’associé chez Deloitte Suisse. «En règle générale, un individu qui veut acheter un bien contacte sa banque et va ensuite s’adresser à un ou deux autres prestataires, plutôt que de recourir à une plateforme qu’il ne connaît pas. C’est une question de confiance envers l’institution.» L’autre écueil est la rentabilité. «Les commissions touchées par les intermédiaires sur les hypothèques sont relativement faibles, explique Jean-François Lagassé. Il n’y a pas beaucoup de marge pour créer une activité profitable.» Il faut de très gros volumes.
La consolidation dans ce secteur devrait se poursuivre jusqu’à atteindre trois ou quatre grands intermédiaires, affirme MoneyPark dans une étude parue début juillet. La société veut croire en un rebond. Dans les années à venir, la stabilisation attendue des taux d’intérêt, combinée à la demande toujours élevée de logements en propriété, devrait entraîner un retour à une croissance du marché des intermédiaires de près de 15%, prévoit l’entreprise.
Une nouvelle opportunité?
Certains d’entre eux semblent avoir mieux négocié le resserrement du crédit. La fintech genevoise Resolve a enregistré l’an dernier une croissance de 37% pour dépasser les 900 millions de francs de financements hypothécaires. «Notre approche est plus qualitative, affirme son directeur général, Romain Dequesne. Nous avons mis l’accent sur le conseil. Nous avons également tiré profit de notre diversification. Dans notre segment premium, nous proposons des crédits complexes pour la clientèle de banques privées ainsi que des prêts-relais.»
A l’inverse de la France, le marché hypothécaire suisse reste en croissance. «Mais il est vrai que les banques sont actuellement beaucoup plus réfractaires à prêter, relève Romain Dequesne. C’est donc un moment opportun pour les courtiers.» Andreas Dietrich, professeur de finance à la Haute Ecole de Lucerne (HSLU), part également du principe que le marché des intermédiaires devrait croître, mais à long terme. «En 2023, il y a eu un premier coup de frein et cette année encore, je m’attends à ce que le marché stagne, dans le meilleur des cas.»
Selon Deloitte, qui vient de consacrer une étude au marché hypothécaire, ces changements peuvent être vus comme une nouvelle opportunité, à condition que les acteurs adoptent un positionnement stratégique clair pour les années à venir, par exemple en optimisant et en numérisant leurs processus.