Le Temps

Ecrire pour retrouver celui qu’on aime

- MARIE-PIERRE GENECAND De l’amour ou presque, Théâtricul, Chêne-Bourg, du 20 au 29 juin.

Au Théâtricul, Anne Perrin orchestre un joli moment poétique autour des mots qui réveillent l’amour. Spectacle intimiste dans lequel on retrouve avec plaisir Pierandré Boo

On a bien cru qu’on l’avait perdu. Mais Pierandré Boo, première et mythique figure queer de la scène alternativ­e genevoise avec son double Greta Gratos, a mis la mort K.-O. A 63 ans, le comédien est revenu intact d’un massif infarctus postopérat­oire et s’offre même la joie de jouer un mâle, un vrai, dans De l’amour ou presque, chant poétique écrit et mis en scène par Anne Perrin.

Le pitch? Comment une femme tente de reconquéri­r l’homme de sa vie à travers des dizaines de lettres glissées sous sa porte et qui l’appellent à «se détourner de sa propre déchéance». Camille Bouzaglo porte avec une belle ferveur ces mots qui réparent.

Il y a des spectacles qui font salle comble, comme la plupart des propositio­ns de l’Alchimic ou du Théâtre de Carouge. Et il y a des spectacles moins courus par le public. De l’amour ou presque appartient à la seconde catégorie et c’est devant quelques spectateur­s seulement qu’on a découvert ce travail d’Anne Perrin. Mais même devant une audience clairsemée, le miracle du théâtre a eu lieu. Grâce à la force du texte et à l’intensité des comédiens. A vrai dire, on s’est même sentis privilégié­s d’avoir droit à une représenta­tion quasi privée. Comme un cadeau, une plongée en intimité.

Les hommes, ces grands fragiles

C’est que la thématique touche au coeur. Alors que l’aimé vit la nuit et orchestre son autodestru­ction avec obstinatio­n, sa sauveuse lui adresse par brassées des invitation­s à se ressaisir, se rassembler. Car «c’est fragile un homme/ça peut prendre dans la gueule/et ne pas se relever/ un homme./C’est tout petit/un homme,/ derrière le masque/l’enfant se cache.»

Aux abords de l’appartemen­t suggéré par quatre fils LED et dans lequel le personnage de Pierandré Boo croupit en se qualifiant luimême de «cafard», Camille Bouzaglo délivre sa parole d’amour et d’espoir. «Quel est ce rayon que je vois naître/à l’ombre de ton regard? Quelle est cette douceur qui te caractéris­e/et m’embaume dès l’aube?» Ou plus loin: «Le ciel en flamme/est une alarme/pour conjurer les drames/pour exploser les gammes/de la musique de ton âme.»

L’aimée, qui va et vient au-dehors, est elle aussi enfermée. Elle étouffe dans cette obsession à reconquéri­r son ex et à le sortir de son marasme. D’ailleurs, devant une nouvelle rebuffade, Camille Bouzaglo danse un magnifique flamenco de colère et d’impuissanc­e mêlées.

La musique de Laurent Cohen joue un rôle important dans ce chant poétique. Une partition de guitare tantôt enveloppan­te comme un cocon, tantôt plus rock avec des accents aigus, des tensions. Les lumières de Claire Firmann guident aussi le spectateur à travers les différents états du combat en jouant sur les notions d’extérieur (les fenêtres qui apparaisse­nt au loin) et d’intérieur plus ou moins froid.Le spectacle peut donc se déguster en intimité, c’est sa force. Mais il ne perdrait rien de son impact, au contraire, si la salle débordait.

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