Après avoir craqué le code de l’Eurovision, Nemo ravit Bienne
Cinq semaines après son triomphe à Malmö, l’artiste non binaire revenait dans sa ville natale, où une foule attendait de pied ferme cet «enfant du pays»
Nemo porte le nom d’un capitaine et, dans son port natal, hier soir, c’est un peu le retour d’un marin victorieux qu’on célébrait. Cinq semaines après sa victoire à Malmö, une mer de fans l’attendait sur la place du Bourg, au centre de Bienne – où la ville avait organisé un comité d’accueil du genre festif. Devant la scène installée pour l’occasion, ou penchés aux fenêtres, des centaines de visages tendus, dans l’espoir d’apercevoir leur héros, qui envoûtait il y a peu les caméras de l’Eurovision et du monde. Conseillers municipaux sur leurs 31, brochette de caméras et surtout, rangée d’enfants hurlant son nom comme celui d’une pop star. Un public bien différent de celui, queer et pailleté, que Nemo soulevait samedi à Zurich à l’occasion de la Pride, choix loin d’être hasardeux pour sa première intervention musicale en Suisse.
Un grand écart qui résume bien les multiples facettes de cet artiste non binaire, engagé pour les droits LGBTIQ +, mais préférant la douceur au poing levé. Une figure qui a fait la fierté d’un pays et fait couler la haine sur les réseaux. Inclassable, à l’image de son morceau, The Code. Mais résolument populaire, se dit-on au vu des rugissements qui s’élèvent quand la foule aperçoit ne serait-ce qu’un morceau du chapeau en fourrure rose de cet ourson réjoui. Peu avant, Nemo, qui avait jusque-là choisi la discrétion dans l’espace médiatique suisse, revenait devant un parterre de journalistes sur les semaines post-Eurovision. Un tourbillon exaltant, à l’image de la toupie qui tournoyait sous ses pieds le 11 mai, entre conquête des charts européens, passage à The Voice France et à la Royal Academy de Londres (dans une robe gonflable géante) – entre deux, quelques jours à peine pour souffler.
Verni rose impeccable et sourire impérissable, t-shirt estampillé d’une réplique culte de la Dolce Vita, Nemo raconte la préparation de ses futurs concerts, qui vont s’enchaîner, des festivals suisses cet été aux salles européennes l’an prochain («passer d’une chanson de trois minutes à un set de 60 minutes, ce n’est pas rien»); son envolée à l’international («tu es le premier artiste suisse qu’on signe», lui aurait dit son label Casablanca, branche américaine du groupe Universal), et le message envoyé aux autres talents helvétiques, dire que oui, c’est possible aussi vu d’ici; les attaques concernant sa non-binarité, que l’artiste essaie de tenir au maximum à distance («ça m’a touché, ça m’a blessé, mais j’essaie de ne pas y consacrer trop d’énergie»); le rendez-vous très attendu avec le conseiller fédéral Albert Rösti ce mardi, durant lequel Nemo espère revenir sur la question, plus que controversée, de l’acceptation d’un troisième genre.
«Rêve absurde»
Nemo, c’est la victoire du drapeau jaune et violet, mais aussi et surtout celle d’une ville tout entière, ilôt bilingue tout à coup placé sous les feux des projecteurs, comme jamais peut-être. Devant cette place que traversait Nemo pour aller à l’école, le maire, Erich Fehr, rappelle qu’on célèbre ici un «enfant de Bienne», tandis que le journaliste et spécialiste de l’Eurovision Jean-Marc Richard souligne «qu’aucun artiste n’avait parlé comme ça de sa ville à l’Eurovision». Au tour de Nemo d’oser quelques mots en français pour déclarer sa flamme aux Biennois, remercier ses parents, venus de Suisse orientale, de s’être installés dans ce coin de pays, tout en se demandant si «tout ça n’est pas un rêve absurde dont je vais me réveiller…»
Le temps de lui offrir un prix – une plaquette en verre restée en un seul morceau, cette fois –, des élèves de l’école de musique de Bienne, où Nemo a étudié la percussion et le chant, lui dédient un concert. Avant le bain de foule, surprise: alors qu’on avait assuré qu’aucun morceau ne serait interprété ce soir-là, l’artiste leur répond («c’est officieux!») par un extrait de The Code. De quoi confirmer une aisance scénique et une élasticité vocale qui, loin des polémiques, devraient mettre tout le monde d’accord. Pour qui voudra s’en assurer, Nemo sera de passage au Gurtenfestival de Berne (le 18 juillet), au Lakelive de Bienne (le 31 août) avant un passage en Romandie, à Sainte-Croix, dans le cadre du Migros Hiking Sound le 15 septembre. Le cap est pris et le monde de Nemo, lui, ne fait que de s’agrandir. ■