Le Temps

Paloma, star de «Drag Race France», à la conquête des planches

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_nb

En 2022, elle remportait la première saison de l’émission de téléréalit­é devenue phénomène culturel. Aujourd’hui, Hugo Bardin, l’homme derrière la drag-queen, décline le féminin sur scène. Des personnage­s savoureux à découvrir dans une semaine à Genève, avant Morges-sous-Rire

Marie-Antoinette aurait-elle approuvé le film que lui consacrait, deux siècles après son trépas, la réalisatri­ce Sofia Coppola? Voilà qu’elle sort justement de sa toile, au musée, pour nous dire une fois pour toutes ce qu’elle en pense. «C’est criminel ce qu’elle m’a fait, cette bonne femme. Vous ne vous rendez pas compte, tous les gens qui viennent ici et s’attendent à voir une pimbêche de 22 ans avec des Converse aux pieds!»

Choucroute blanche, bras tatoués, verbe vénère: cette Marie-Antoinette revêche est cousine d’une autre reine, rousse et flamboyant­e: Paloma, couronnée en 2022 lorsqu’elle remportait la première saison de Drag Race France. Une émission de téléréalit­é dans laquelle 11 drag-queens s’affrontent et qui remporte tout de suite un succès inattendu, au point d’être déplacée en prime time sur France 2. Lancée aujourd’hui, la troisième saison sera électrique.

Mais Paloma a d’autres projecteur­s à séduire. Deux ans après son sacre, elle sort de l’écran pour fouler les planches. Ou plutôt, c’est son créateur, le comédien et metteur en scène Hugo Bardin, qui l’y emmène, une brochette d’alter ego féminins délicieux avec elle. Dans son spectacle, Paloma au PluriElles, il incarne Anne-Cyprine la bourgeoise, qui réserve son plus beau look pour La Manif pour tous, une cagole marseillai­se nommée Nefertiti ou Lolashiva, une gourou au troisième oeil en toc. On pourrait même bien y croiser une Fanny Ardant en roue libre à la cérémonie des Césars… Après deux dates complètes au Théâtre Boulimie de Lausanne, Hugo Bardin et ses dames reviennent cancaner à Genève samedi prochain, puis au festival Morges-sous-Rire à la mi-juin. Rencontre lausannois­e en coulisses, entre les paillettes et l’eye-liner – appliqués tout en parlant, sinon, c’est trop facile.

Sorcières mystiques

Dur à croire qu’Hugo Bardin n’a pas toujours pratiqué l’art du fard. Né à Clermont-Ferrand, où il passe une enfance à dessiner et bricoler des costumes, c’est d’abord au Cours Florent qu’il apprivoise le théâtre, cette école parisienne où la révérence aux classiques prime sur l’exploratoi­re. «Je faisais déjà du drag sans le savoir, je me travestiss­ais sur scène», se souvient le trentenair­e. Mais les profs me disaient: «Tu ne vas pas faire ta carrière avec ça…»

Et puis la vague Drag Race déferle aux Etats-Unis. Un phénomène culturel tout en perruques, talons et émancipati­on mené par le présentate­ur star RuPaul, qu’Hugo Bardin suit, hypnotisé, sur internet. Bientôt, il crée son premier rôle drag dans un court métrage: c’est la naissance de Paloma. Elle est alors cette créature glam rock au scintillem­ent eighties, mélange de Cher et de Bonnie Tyler – loin de l’aura mystique qu’on lui connaît aujourd’hui. «Je me suis rendu compte que ce qui m’a toujours fasciné était lié à mes héroïnes de toujours, Mylène Farmer, Milady des Trois Mousquetai­res,à ces figures un peu sorcières, marginales. Très vite, Paloma est devenue rousse, avec ce côté gothique venu de ma propre adolescenc­e.»

Une manière pour Hugo Bardin de revendique­r sa différence, comme un deuxième coming out, et de mettre un pied dans ce monde de troupes et de cabarets. Lorsque Drag Race débarque en France, il hésite pourtant. Diplômé, il n’est pas devenu le comédien dont il rêvait mais s’est fait une place en tant que costumier. «La France est assez snob avec la télévision et ce genre d’émissions: est-ce qu’on n’allait pas me mettre une étiquette? C’est ma mère qui m’a encouragé. Elle m’a dit: «Tu n’as rien à perdre!»

Et une couronne à rafler. Le triomphe de Paloma prend de court jusqu’à son créateur. «J’ai été surprise de réussir ce grand écart impossible en France: faire quelque chose de queer, populaire et en même temps de garder une image assez intello. Bizarremen­t, j’ai vu beaucoup de gens du Cours Florent, qui m’avaient snobé, m’écrire pour me féliciter.»

Menaces de mort

L’émission impose le drag dans l’espace médiatique français, pour le meilleur et pour le pire: les nouveaux alliés sont escortés par les préjugés, la haine, la récupérati­on politique. «Il y en a des deux côtés. Les partis progressis­tes qui veulent être branchés et les partis extrémiste­s qui nous pointent comme si on était un nouveau variant du virus. Ça me fait rire.»

Réagir, aussi. Contre l’intoléranc­e, celui qui s’assume politisé joue la carte de la campagne grand public. Au point d’emmener Paloma sur le plateau de Quotidien pour des chroniques l’an dernier… ce qui lui vaudra quelques menaces de mort. «Je ne suis pas pour enfoncer des portes ouvertes chez des gens déjà acquis à la cause. Evidemment, quand j’ai un micro, je m’adresse en priorité à ma communauté, car elle a besoin d’une voix. Mais on n’avancera pas si on ne fédère pas au-delà.»

Rassembler, c’est le credo d’Hugo Bardin dans Paloma au PluriElles, qui ressemble moins à un show de drag qu’aux spectacles de Muriel Robin ou de Marie-Thérèse Porchet, les figures de son enfance. «Je suis nostalgiqu­e de cette forme d’humour, cette culture des personnage­s qui est en train de disparaîtr­e. C’est mon univers.»

Miroir tendu

Les femmes sur scène n’ont rien de superwomen modernes. Plutôt des agrégats de personnes croisées, comme Viviane, la «casteuse» de films survoltée. Des figures imparfaite­s, aussi cruelles que vulnérable­s. «La bourgeoise est atroce. Elle parle mal à sa femme de ménage, elle est condescend­ante et un peu raciste, mais quand elle se confie à sa meilleure amie, on comprend qu’elle a été victime d’inceste, enfant.»

Un miroir complexe dans lequel le public devine régulièrem­ent une mère, une soeur – quand il ne se reconnaît pas lui-même, s’amuse Hugo Bardin. Lui qui note régulièrem­ent des conversati­ons attrapées au vol a plus d’une femme dans son sac – et imagine déjà un deuxième spectacle. Une manière, aussi, de concilier toutes ses facettes à lui. «Il y a Hugo l’auteur, le metteur en scène, la drag-queen. Là, je me sens vraiment à ma place.» ■

Paloma au PluriElles, Théâtre de la Madeleine, Genève, le samedi 8 juin à 20h; Le Cube, Morgessous-Rire, le samedi 15 juin à 19h.

Le triomphe de Paloma prend de court jusqu’à son créateur

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