Claude Torracinta
Claude Torracinta et moi-même avons fait ensemble, lui comme journaliste, moi comme réalisateur, l’un de nos premiers reportages pour Continents sans visa. Le sujet: un portrait de RTL, la radio la plus écoutée en France à l’époque. Reportage sans grand intérêt mais qui a permis à l’un comme à l’autre de faire connaissance alors que nous débutions, moi comme réalisateur, lui comme nouveau patron du magazine qui était l’ancêtre de Temps présent. Ce fut un acquis pour nos relations futures, car la confiance entre le producteur commanditaire et le réalisateur est essentielle pour la réussite des reportages.
Claude était un social-démocrate et moi, un jeune excité influencé par les idées utopistes de Mai 68. Je faisais souvent équipe avec Pierre-Pascal Rossi. Torracinta nous considérait comme trop engagés politiquement, alors que notre jeunesse était tout simplement synonyme de naïveté. Au visionnement d’un reportage que nous avions effectué dans l’Irlande du Nord, il nous dit: «Je ne partage vos vues politiques, mais je dois reconnaître que vous êtes d’irréprochables reporters.»
C’était tout Claude, ça, c’est-àdire faire passer le professionnalisme avant toute autre considération. Evidemment, notre souhait était de nous éclater en tournant des reportages à l’autre bout du monde alors que Claude exigeait, avec raison, de montrer à la TSR comment va la Suisse. C’était donnant-donnant: un reportage social en Suisse réussi nous ouvrait la possibilité de tourner le suivant à l’étranger.
Il faut se replacer dans l’époque, les années 1970-1980. Le téléphone portable n’existait pas et, une fois arrivées en Chine ou en Argentine, les équipes de TP avaient peu de contacts avec la centrale genevoise. Claude nous faisait confiance et nous savions que cette confiance était conditionnée par le sérieux et la réussite de notre travail.
La qualité des reportages produits par Claude Torracinta fut saluée notamment par JeanLuc Godard, qui m’écrivit une lettre dans laquelle il affirme que «Temps présent montrait parfaitement les possibilités d’une information libre non atteinte des virus de la gloire et du pouvoir».
Le mot «concession» n’existait pas pour Claude, alors que dans les hautes sphères les accommodements font partie du job.
Les chaînes françaises nous enviaient Claude, mais ce dernier déclina l’offre de diriger Arte, car il n’était pas dupe et était au courant des soutiens et magouilles politiques nécessaires à l’époque pour rester au pouvoir en France. Pour Claude, ce n’était pas la célébrité qui était l’essentiel, mais à quelles causes il consacrait sa notoriété.
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Raymond Vouillamoz, réalisateur, a été directeur des programmes de France 3 en 1990-1992 et de la RTS de 1993 à 2003. Il se consacre aujourd’hui à l’écriture de romans. La version exhaustive de cet hommage est à lire sur www.letemps.ch