Former à la critique, à la controverse et au débat
L’université est un espace de débat, de critique, de controverse même. L’université s’inscrit dans la vie politique de la société. Elle la nourrit. Mais l’université n’est pas un espace totalitaire et univoque. Elle doit être le lieu premier, et l’endroit ultime, qui rend la discussion possible.
Les dernières semaines ont été beaucoup accaparées par le mouvement de protestation estudiantin qui a gagné nos hautes écoles, occupé leurs campus, mobilisé les énergies, exacerbé les divisions, face à la guerre qui fait rage à Gaza. Cette actualité s’impose, jusque dans un texte destiné aux pages Formation du quotidien qui accueille régulièrement mes propos. Avec pertinence: c’est bien de formation qu’il est question ici.
Un rôle politique au sens large
En plus de leur mission spécifique de partage du savoir, de creuset de la recherche fondamentale, de lieu de la transmission des connaissances, les écoles universitaires ont pour vocation de former à la perception du monde, à la capacité critique, à la compréhension des enjeux, afin que chacune et chacun soit outillé pour se forger sa propre opinion. En ce sens, elles s’inscrivent pleinement dans la société, et ont un rôle politique au sens large. Elles contribuent à alimenter la discussion citoyenne avec des arguments étayés, éprouvés par les méthodologies reconnues des sciences dont elles sont les garantes et les vecteurs.
C’est ce principe fondamental qui doit être promu en toute circonstance, et fermement défendu si nécessaire. En ces temps d’agitation et d’affrontements, j’ai l’impression qu’une confusion s’est installée. On parle de la «neutralité» académique. On se renvoie cette balle avec une fureur de plus en plus marquée. Et on se trompe de cible.
D’un côté le camp de la «neutralité absolue» voudrait que la science (et avec elle les hautes écoles) reste dans sa bulle, hors sol, sans influence sur l’état des connaissances du monde, et par conséquent sans impact sur les décisions à prendre par les corps politiques démocratiquement élus. Une sorte d’entité intellectuelle sans personnalité, qu’on consulterait à la carte lorsque tel ou tel apport viendrait servir la cause politicienne voulue.
En face de lui, le camp du militantisme, qui affirme que la science est forcément politique, et qu’elle doit se soumettre sans discussion aux valeurs et aux actes qu’il juge justes et bons. Paradoxe, le résultat est identique: les établissements universitaires ne sont plus capables d’exercer leur raison d’être même, ils abandonnent la posture critique, l’examen de la complexité et la culture dialectique pour suivre un dogme dont personne ne sait au juste qui en est l’autorité suprême.
Faire naître des solutions
Ce pugilat ne sert qu’à engoncer chaque camp dans ses certitudes. Et les certitudes sont par essence antinomiques à un environnement dont la tâche première est de questionner le présent, de comprendre au-delà des apparences, de douter des réalités toutes faites.
Je l’ai dit lors des premières interventions que j’ai pu faire sur ce sujet essentiel: l’université doit être un espace d’apaisement. Un lieu où l’on apprend avant d’affirmer; où l’on discute avant de crier; où l’on écoute avant de condamner; où l’on débat sans exclure. Les rejets simplistes ne mènent à rien, sinon à dresser davantage de murs entre les êtres humains. C’est du dialogue, de la méthode, de la mise en perspective que naîtront les solutions. La controverse peut être un art, pour autant qu’on en apprenne les règles. Celles et ceux qui estiment que l’université est intimée à prendre une position politique unilatérale la condamnent au totalitarisme qu’elles et ils pensent dénoncer.
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