Contours d’une entente sur l’accord pandémique
Le ministre états-unien Xavier Becerra, qui était à Genève pour participer à la 77e Assemblée mondiale de la santé, est convaincu que le projet pourrait être adopté prochainement. Washington a toutefois ses lignes rouges
En juillet 2020, l’administration de Donald Trump envoyait une lettre à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour notifier son retrait officiel de l’organisation. Elle voulait protester ainsi contre l’attitude trop «sinocentrique» de l’OMS au début de la crise du Covid-19. Quatre ans plus tard, autre administration, autre décor. Le secrétaire américain à la Santé, Xavier Becerra, est venu plusieurs jours à Genève dans le cadre de la 77e Assemblée mondiale de la santé (AMS).
Devant quelques journalistes, ce Californien descendant d’immigrés mexicains estime que «le verre est à moitié plein» au sujet des négociations sur un traité-accord pandémique qui n’ont pas abouti à un document pouvant être adopté par les délégués de l’AMS. Motif: trop de désaccords demeurent sur des questions centrales. Xavier Becerra le souligne toutefois: «Pouvez-vous m’indiquer une avancée internationale majeure qui se soit faite en un jour? Il y a un consensus clair pour refuser le statu quo.»
Européens moins optimistes
Le ministre a jugé essentiel d’aller de l’avant et de ne pas prendre le risque de se retrouver dans la situation d’avant la pandémie de Covid-19, où les Etats étaient dans l’incapacité de riposter de façon efficace à la plus grave crise sanitaire depuis la grippe espagnole en 1918. «Nous avons un bon projet sur la table. Nous pouvons clairement voir les contours d’un accord.» Secrétaire adjointe à la Santé, Loyce Pace renchérit: «Nous devons maintenir le «momentum». Nous ne pouvons quitter Genève sans rien.» Sans entrer dans les détails, Xavier Becerra semble convaincu que l’AMS réussira un jour à approuver un accord. «Nous allons y arriver. Ce serait vraiment tragique si nous n’y parvenions pas», a-t-il prévenu.
Chez les Européens, on est nettement moins optimiste, estimant que le fossé à combler entre le Nord et le Sud demeure considérable. Un diplomate de l’UE relève néanmoins: «S’ils étaient au départ opposés à un traité, les Etats-Unis s’y sont finalement ralliés et n’ont été à l’origine d’aucun blocage. Ce qui leur importait le plus toutefois, c’était le renforcement du Règlement sanitaire international», un document clé pour l’OMS pour piloter la gestion d’une urgence sanitaire de portée internationale.
Les divergences entre pays du Nord et du Sud touchent notamment au Système d’accès aux pathogènes et de partage des bénéfices (PABS) qui permettrait un échange rapide d’échantillons d’agents pathogènes et de données de séquences génétiques et accélérerait la fabrication de vaccins et de médicaments. Mais aussi aux transferts de technologie et à leur financement.
La question cruciale qui se pose au Palais des Nations à Genève est celle de la prolongation du temps de négociation. L’AMS va-t-elle accepter que l’Organe intergouvernemental de négociation discute du projet non abouti pendant un mois, deux mois, six mois ou deux ans supplémentaires? Le secrétaire à la Santé met en garde: «Le temps est un bien précieux. Mais il n’est pas toujours notre ami…» A l’image de l’Union européenne et de la Suisse, Washington ne souhaite pas prolonger les négociations jusqu’à la fin de l’année et suivre ainsi la proposition émise par les pays africains.
A Genève, les Etats-Unis sont venus avec une forte délégation dirigée par le secrétaire à la Santé. «Nous étions impliqués dès le début du processus de négociation. Nous avons montré de la bonne foi, avons offert des solutions claires», clame Xavier Becerra. Mais Washington a ses lignes rouges. La levée exceptionnelle des brevets pour la production de vaccins ou de médicaments, telle que souhaitée par des Etats du Sud dont l’Inde et l’Afrique du Sud, est jugée inacceptable.
Liens avec l’économie
«Il y a un consensus clair pour refuser le statu quo» XAVIER BECERRA, SECRÉTAIRE AMÉRICAIN À LA SANTÉ
Si les 194 Etats membres de l’OMS arrivent à conclure un traité ou accord pandémique, quelle sera l’attitude des Etats-Unis? Professeur émérite de l’Université de Georgetown à Washington et spécialiste de la santé globale, Lawrence Gostin relève un problème propre au dysfonctionnement du Congrès, qui est quasiment incapable de ratifier un traité quel qu’il soit: «Il y a très peu de chances que le Congrès ratifie un traité, y compris celui sur la pandémie. Et il y a un tourbillon de désinformation à propos du traité. Je pense que Biden pourrait le signer mais que le Sénat ne le ratifierait pas. Ce serait au moins une manière pour les Etats-Unis de s’impliquer étroitement dans le traité.»
Aux Etats-Unis, la crise sanitaire du Covid-19 a eu des effets dévastateurs, tuant plus de 1,2 million d’Américains. Xavier Becerra, qui a pris ses fonctions au coeur de la pandémie, en mars 2021, en a conscience: «Nous avons besoin d’un système de santé qui marche afin que l’économie fonctionne et que les gens puissent aller travailler.» Le ministre n’a pas mentionné par hasard la présence de la grippe aviaire aux Etats-Unis qui touche notamment les vaches et qui a infecté au moins deux êtres humains, montrant qu’une future pandémie dans un horizon relativement proche ne peut être exclue. Washington considère un accord pandémique comme un pas en avant dans la mise en place d’une préparation et d’une riposte plus efficaces à la propagation d’un virus dangereux.
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