Le Temps

Sous la coupole fédérale, fausse vidéo et vraie procédure juridique

La parlementa­ire Sibel Arslan (Les Vert·e·s/BS) traîne en justice le conseiller national Andreas Glarner (UDC/AG) pour usurpation d’identité. La suite logique d’une longue inimitié aux conséquenc­es encore imprévisib­les

- BORIS BUSSLINGER, ZURICH @BorisBussl­inger

Usurpation d'identité en ligne. C'est ce que reproche Sibel Arslan à Andreas Glarner, révélait hier la presse alémanique. Le 16 octobre 2023, quelques jours avant les élections fédérales, l'Argovien avait publié sur Twitter et Instagram un deepfake (fausse vidéo hyperréali­ste) de son adversaire politique intitulée «Si Sibel Arslan était honnête». Le contenu montrait la juriste appelant à voter pour l'UDC et à renvoyer les criminels turcs (Sibel Arslan est binational­e, Suissesse et Turque).

«Il n’y a pas ça dans ton pays»

La Bâloise avait demandé – et obtenu – des mesures superprovi­sionnelles auprès d'un juge pour qu'elle soit retirée du web au plus vite. Après quoi l'UDC avait été condamné à près de 4000 francs d'amende, somme comprenant les frais d'avocat de Sibel Arslan et ceux de la justice. L'affaire paraissait close, mais il apparaît que les représaill­es sont loin d'être terminées, avec l'une des toutes premières plaintes traitant d'appropriat­ion frauduleus­e de l'identité d'autrui sur le web depuis l'entrée en vigueur de la loi en septembre 2023. Tout cela entre deux parlementa­ires fédéraux.

Au début, était une virulente haine réciproque: Sibel Arslan et Andreas Glarner ne s'aiment pas. La première fait partie de «Basta», parti politique d'extrême gauche siégeant avec Les Vert·e·s au parlement fédéral. Le deuxième peut officielle­ment être qualifié d'«extrémiste de droite», d'après le jugement concernant un autre cas rendu en février par un tribunal argovien. Mais l'animosité dépasse depuis longtemps les clivages politiques. Pour devenir personnell­e. Le premier épisode se déroule en septembre 2020, tandis que des manifestan­ts pour le climat sont installés sur la place Fédérale. Les deux conseiller­s nationaux se croisent sur le parvis du palais. Le ton monte. Le premier appelle la seconde «Arschlan» (Arsch signifiant «cul» en allemand) devant les caméras alémanique­s. Avant d'appeler au «droit et à l'ordre». Et d'ajouter, «il n'y a pas ça dans ton pays!»

Quelques jours plus tard, l'Argovien publie sur Facebook un extrait d'interventi­ons parlementa­ires de sa meilleure ennemie, pour beaucoup en lien avec des affaires internatio­nales. Et pose cette question: «Jugez par vous-même! Représente-t-elle vraiment les intérêts des Suisses?» Puis, en octobre de la même année, il dépose une motion suggérant d'interdire l'élection de binationau­x au législatif fédéral. Sans succès. Quatre ans plus tard, Sibel Arslan a décidé de déterrer la hache de guerre. L'affaire pourrait s'avérer explosive du point de vue juridique comme du point de vue politique.

Si le Ministère public décide d'engager une procédure contre Andreas Glarner, il pourrait en effet devoir demander la levée de l'immunité relative du député aux commission­s parlementa­ires compétente­s, un vote qui serait certaineme­nt scruté de près. Celles-ci devraient notamment examiner s'il existe un «rapport direct» entre le deepfake du politicien et «ses fonctions ou activités officielle­s». Vaste débat en vue. Ni Andreas Glarner ni Sibel Arslan n'ont souhaité s'exprimer sur l'affaire. ■

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