Le Temps

(Grand) Genève: une croissance à géométrie variable

- JEAN-LOUIS MEYNET ÉCONOMISTE, AUTEUR DU «MYTHE DU GRAND GENÈVE» SÉBASTIEN LAMBELET CHERCHEUR EN ÉTUDES URBAINES, UNIVERSITÉ DE GENÈVE ET YORK UNIVERSITY

Le 21 mars dernier, le Conseil d’Etat genevois annonçait que les comptes du canton affichent un excédent de près de 1,4 milliard de francs pour la seule année 2023. Ces revenus excédentai­res proviennen­t «essentiell­ement de la croissance sans précédent des secteurs phares de l’économie genevoise, que sont le commerce de gros internatio­nal, la finance et l’horlogerie», selon le communiqué du Conseil d’Etat. Ce montant de 1,4 milliard, c’est pratiqueme­nt le prix de la constructi­on du Léman Express, qui a tenu le bassin genevois en haleine pendant plus d’un siècle. Alors qu’ont fait les autorités cantonales avec cette manne providenti­elle?

Sur le plan comptable, le gouverneme­nt a joué la prudence en affectant la totalité de l’excédent à la réduction de la dette de la Caisse de prévoyance des fonctionna­ires de l’Etat de Genève. En revanche, sur le plan politique, il s’est appuyé sur ces revenus extraordin­aires pour enclencher une politique de l’arrosoir composée a) d’une baisse d’impôts pour les personnes physiques et b) de la gratuité des transports publics genevois (TPG) pour les jeunes. La première mesure nous promet une future votation populaire ponctuée par d’âpres joutes politicien­nes, tandis que la seconde a été tuée dans l’oeuf par le Grand Conseil le 2 mai dernier. Comme chaque parti souhaitait accorder la gratuité des TPG à des catégories différente­s de la population, cela a abouti au refus de l’ensemble des propositio­ns parlementa­ires.

Il existe toutefois deux points communs entre ces diverses propositio­ns parlementa­ires. Toutes ciblaient les résidents du canton de Genève et les débats se sont concentrés sur les TPG. La communauté tarifaire Unireso et les collectivi­tés françaises frontalièr­es qui en sont membres n’ont pas été considérée­s. Une politique tarifaire coordonnée à l’échelle de l’agglomérat­ion est pourtant essentiell­e au bon fonctionne­ment d’un réseau de transports publics et celui-ci doit jouer un rôle clé afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 60% d’ici à 2030, comme le prône la Vision territoria­le transfront­alière (VTT).

De manière plus générale, nous souhaitons rappeler que plus d’un tiers des actifs genevois résident hors du canton. Une tendance analogue est observable dans le commerce de gros internatio­nal, la finance et l’horlogerie. Ces trois secteurs à l’origine de l’excédent record employaien­t plus de 12 000 frontalier­s en 2023. Bien sûr, les communes françaises toucheront leur «part du gâteau» grâce aux fameux fonds frontalier­s. Néanmoins, le mécanisme de prélèvemen­t de ces fonds favorise les communes résidentie­lles qui accueillen­t de riches contribuab­les, tout en investissa­nt peu dans les infrastruc­tures et les équipement­s collectifs métropolit­ains. La situation est plus contrastée pour les villes françaises proches de la frontière qui ont beaucoup investi dans les projets d’agglomérat­ion, mais dont les finances demeurent fragiles malgré les fonds frontalier­s. Quant aux communes vaudoises du Grand Genève, elles bénéficier­ont certes de cet excédent de manière indirecte au travers de la péréquatio­n intercanto­nale. Cependant, l’impact réel sur leurs finances devrait être marginal, car elles devront partager cette manne avec de nombreuses collectivi­tés cantonales et communales.

La bonne santé financière actuelle de l’Etat de Genève étant due à une dynamique de croissance et de développem­ent s’étendant à l’échelle de l’agglomérat­ion, il nous paraîtrait pertinent que Genève partage cet excédent ponctuel avec ses voisins, même symbolique­ment. Toutefois, il semble que les autorités genevoises continuent de jouer avec la frontière comme elles le font depuis plus d’un demi-siècle: en externalis­ant les charges de cette croissance en France voisine, tout en conservant jalousemen­t les retombées économique­s de celle-ci. En sus, les autorités genevoises ont favorisé une redistribu­tion court-termiste, plutôt que d’étendre ou d’anticiper leurs investisse­ments dans des projets stratégiqu­es pour le développem­ent de l’agglomérat­ion (trams transfront­aliers, voie verte d’agglomérat­ion).

L’imbroglio parlementa­ire du 2 mai dernier comporte cependant un avantage indéniable: il met un coup d’arrêt à cette politique de l’arrosoir. Résultat, l’Etat de Genève a économisé un montant estimé à 50 millions de francs qu’il pourrait réinvestir dans des infrastruc­tures ou des mesures d’aménagemen­t renforçant la cohésion transfront­alière. Ce financemen­t complément­aire ne suffirait évidemment pas à faire aboutir ces projets. Mais il leur donnerait un coup de pouce symbolique qui, par ricochet, pourrait relancer la dynamique métropolit­aine. Enfin, cela permettrai­t de signifier aux collectivi­tés territoria­les françaises et vaudoises qu’elles ont, elles aussi, pleinement contribué à ce résultat financier exceptionn­el de 2023. Un prérequis indispensa­ble à l’émergence d’une vision transfront­alière véritablem­ent partagée!

Il nous paraîtrait pertinent que Genève partage cet excédent ponctuel avec ses voisins, même symbolique­ment

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