(Grand) Genève: une croissance à géométrie variable
Le 21 mars dernier, le Conseil d’Etat genevois annonçait que les comptes du canton affichent un excédent de près de 1,4 milliard de francs pour la seule année 2023. Ces revenus excédentaires proviennent «essentiellement de la croissance sans précédent des secteurs phares de l’économie genevoise, que sont le commerce de gros international, la finance et l’horlogerie», selon le communiqué du Conseil d’Etat. Ce montant de 1,4 milliard, c’est pratiquement le prix de la construction du Léman Express, qui a tenu le bassin genevois en haleine pendant plus d’un siècle. Alors qu’ont fait les autorités cantonales avec cette manne providentielle?
Sur le plan comptable, le gouvernement a joué la prudence en affectant la totalité de l’excédent à la réduction de la dette de la Caisse de prévoyance des fonctionnaires de l’Etat de Genève. En revanche, sur le plan politique, il s’est appuyé sur ces revenus extraordinaires pour enclencher une politique de l’arrosoir composée a) d’une baisse d’impôts pour les personnes physiques et b) de la gratuité des transports publics genevois (TPG) pour les jeunes. La première mesure nous promet une future votation populaire ponctuée par d’âpres joutes politiciennes, tandis que la seconde a été tuée dans l’oeuf par le Grand Conseil le 2 mai dernier. Comme chaque parti souhaitait accorder la gratuité des TPG à des catégories différentes de la population, cela a abouti au refus de l’ensemble des propositions parlementaires.
Il existe toutefois deux points communs entre ces diverses propositions parlementaires. Toutes ciblaient les résidents du canton de Genève et les débats se sont concentrés sur les TPG. La communauté tarifaire Unireso et les collectivités françaises frontalières qui en sont membres n’ont pas été considérées. Une politique tarifaire coordonnée à l’échelle de l’agglomération est pourtant essentielle au bon fonctionnement d’un réseau de transports publics et celui-ci doit jouer un rôle clé afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 60% d’ici à 2030, comme le prône la Vision territoriale transfrontalière (VTT).
De manière plus générale, nous souhaitons rappeler que plus d’un tiers des actifs genevois résident hors du canton. Une tendance analogue est observable dans le commerce de gros international, la finance et l’horlogerie. Ces trois secteurs à l’origine de l’excédent record employaient plus de 12 000 frontaliers en 2023. Bien sûr, les communes françaises toucheront leur «part du gâteau» grâce aux fameux fonds frontaliers. Néanmoins, le mécanisme de prélèvement de ces fonds favorise les communes résidentielles qui accueillent de riches contribuables, tout en investissant peu dans les infrastructures et les équipements collectifs métropolitains. La situation est plus contrastée pour les villes françaises proches de la frontière qui ont beaucoup investi dans les projets d’agglomération, mais dont les finances demeurent fragiles malgré les fonds frontaliers. Quant aux communes vaudoises du Grand Genève, elles bénéficieront certes de cet excédent de manière indirecte au travers de la péréquation intercantonale. Cependant, l’impact réel sur leurs finances devrait être marginal, car elles devront partager cette manne avec de nombreuses collectivités cantonales et communales.
La bonne santé financière actuelle de l’Etat de Genève étant due à une dynamique de croissance et de développement s’étendant à l’échelle de l’agglomération, il nous paraîtrait pertinent que Genève partage cet excédent ponctuel avec ses voisins, même symboliquement. Toutefois, il semble que les autorités genevoises continuent de jouer avec la frontière comme elles le font depuis plus d’un demi-siècle: en externalisant les charges de cette croissance en France voisine, tout en conservant jalousement les retombées économiques de celle-ci. En sus, les autorités genevoises ont favorisé une redistribution court-termiste, plutôt que d’étendre ou d’anticiper leurs investissements dans des projets stratégiques pour le développement de l’agglomération (trams transfrontaliers, voie verte d’agglomération).
L’imbroglio parlementaire du 2 mai dernier comporte cependant un avantage indéniable: il met un coup d’arrêt à cette politique de l’arrosoir. Résultat, l’Etat de Genève a économisé un montant estimé à 50 millions de francs qu’il pourrait réinvestir dans des infrastructures ou des mesures d’aménagement renforçant la cohésion transfrontalière. Ce financement complémentaire ne suffirait évidemment pas à faire aboutir ces projets. Mais il leur donnerait un coup de pouce symbolique qui, par ricochet, pourrait relancer la dynamique métropolitaine. Enfin, cela permettrait de signifier aux collectivités territoriales françaises et vaudoises qu’elles ont, elles aussi, pleinement contribué à ce résultat financier exceptionnel de 2023. Un prérequis indispensable à l’émergence d’une vision transfrontalière véritablement partagée!
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Il nous paraîtrait pertinent que Genève partage cet excédent ponctuel avec ses voisins, même symboliquement