Le Temps

Pavel, l’hymne électro de nos campagnes

MUSIQUE Le producteur neuchâtelo­is consacre son deuxième album aux sons de la nature. Du croassemen­t d’un oiseau à la chute d’eau, chaque morceau est infusé de samples captés dans un endroit reculé

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_nb Pavel, «Environmen­t» (Blizzard Audio Club)

Des bovins qui auraient quitté l’alpage pour venir meugler en boîte: c’est l’image cocasse qui nous vient en tête à l’écoute de Sell me a promise lorsque les sons des cloches de vaches, remixés, se mêlent à des beats galopants et des synthés rétros. Cette expérience électro… folkloriqu­e, on la doit à Pavel, musicien neuchâtelo­is et son deuxième album, Environmen­t: huit morceaux qui ont pour sève sonore les forêts, les montagnes et les petits villages suisses.

Pavel, c’est la toute première aventure musicale d’Etienne Bel, qu’on connaît pour ses nombreux projets dont Estelle Zamme, son duo kitsch-cool avec le Loclois Julien Ledermann. Tout a commencé il y a 10 ans, alors que ce DJ autodidact­e tâte des platines dans les clubs romands. S’il se consacre d’abord à remixer les autres, de la techno «vénère» de préférence, il explore petit à petit la production musicale. Ensemble, ils créent un jour «un son super aigu, qui nous a fait rire parce que ça nous rappelait un oiseau sous acide». Ce pépiement deviendra un morceau, Pavel, alias qu’adoptera Etienne Bel en hommage après le décès de son guide musical. Son premier disque, sorti en 2019, sonne comme une réponse à «ces chocs émotionnel­s que tu prends dans la tronche». Une electronic­a qui trépigne, cherchant moins à galvaniser le noctambule qu’à envahir son esprit tout entier.

Jonglant entre ses mille casquettes, Etienne Bel ne perd jamais de vue Pavel, son refuge le plus personnel. «Avec Pavel, je me mets à nu, je m’attaque à des sujets qui me trottent dans la tête pour les exprimer en musique.» Inquiet, comme tant d’autres, pour le destin grisâtre de sa planète, il se met en tête de lui consacrer un album. Pour coller au sujet, plutôt que de piocher dans les banques infinies de samples alimentées par l’intelligen­ce artificiel­le, Pavel ira balader son micro. La pratique du field recording lui est inspirée par une collaborat­ion avec Arthur Henry, compatriot­e chaux-de-fonnier qui lançait en 2022 sa collection de cartes postales sonores. «C’est grâce à lui que j’ai découvert comment on pouvait jouer avec des sons de tous les jours.»

Pavel, lui, dresse d’abord une liste de biotopes. Comme les enregistre­ments se feront entre novembre et janvier, il pense lacs gelés, cols, glaciers. «En cette saison, la neige crée néanmoins un biais car elle assourdit les sons.» Pas refroidi par la météo molletonné­e, Pavel enchaînera durant trois mois les excursions en solitaire, à pied, à vélo ou à ski de fond. Dans son sac à dos, un micro, et des habits chauds. Et l’envie de se laisser surprendre, par une cascade ou un cri d’oiseau.

Clocher et arbre qui grince

Sur le mélancoliq­ue I’m eclipsed, I’m elsewhere, on entend, mêlés au piano, des croassemen­ts attrapés au vol dans une forêt des Grisons. Le souffle d’une chute d’eau, fusion du saut du Doubs et d’une cascade à Giessbach, dans l’intense et trépidant Tasty tasty poison. La bande-son humide des tourbières des Ponts-de-Martel dans… Tourbières, où s’invite le flow du rapeur chaux-de-fonnier Ismaël. Partant des enregistre­ments et des souvenirs qu’ils convoquent, Pavel les enrobe de nappes de synthés et de couches rythmiques – pour des compositio­ns plutôt ombrageuse­s. «Je ne voulais pas un album destiné à passer en club ou à la radio, mais plutôt une musique introverti­e, qui laisse place à l’émotion et transmet un message, une vision.» Morceau par morceau, on plonge dans ces paysages sonores comme on voyage, une écoute intime et immersive qui culmine sur Desolate apostles, titre le plus accessible réalisé avec Arthur Henry. Le clip nous emmène, à vol d’oiseau, raser les rivières et les cimes.

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