Le Temps

Ursula von der Leyen tâte le terrain toujours plus à droite

ÉLECTIONS En campagne, la présidente de la Commission européenne n’exclut pas de travailler avec certaines forces des Conservate­urs et réformiste­s (CRE), dont le parti de Giorgia Meloni. Une stratégie à double tranchant

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES @vdegraffen­ried

Ses propos n’ont pas manqué de faire réagir. En pleine campagne pour sa réélection, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, tête de liste du Parti populaire européen (PPE), a laissé entrevoir une possible alliance avec le groupe des Conservate­urs et réformiste­s européens (CRE), où siègent notamment les Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, le parti Vox espagnol, le PiS polonais ou encore les Démocrates de Suède.

Lors d’un débat à Maastricht organisé par Politico et Studio Europa le 29 avril, l’Allemande a déclaré à demimot qu’elle n’excluait pas une collaborat­ion, mais que cela «dépendait beaucoup de la compositio­n du Parlement après les élections» et de «qui fera partie de quel groupe». Les réactions de ses adversaire­s n’ont pas tardé. «Les valeurs et les droits ne peuvent pas être divisés selon certains arrangemen­ts politiques. Soit vous pouvez traiter avec l’extrême droite, parce que vous en avez besoin, soit vous dites clairement qu’aucun accord n’est pas possible parce qu’elle ne respecte pas les droits fondamenta­ux pour lesquels notre Commission s’est battue», lui a lancé Nicolas Schmit, tête de liste des socialiste­s européens, qui vise son poste.

Le grand marchandag­e

Ce n’est pas la première fois qu’Ursula von der Leyen évoque ce type de collaborat­ion. Elle l’a notamment fait le 21 février. A une question d’un journalist­e qui lui demandait si elle était prête à une coalition avec le CRE, elle a répondu que cela pourrait être le cas avec toute force politique qui respectera­it trois principes: être pro-européen, pro-Ukraine et respecter l’Etat de droit. Le grand marchandag­e a commencé.

Si le PPE, groupe majoritair­e, de droite, devait conserver la première place du podium à l’issue des élections européenne­s qui se déroulent du 6 au 9 juin, les CRE mais aussi le groupe Identité et démocratie (ID) – encore plus à droite, et composé notamment du Rassemblem­ent national (RN), de l’Alternativ­e pour l’Allemagne (AfD) et de la Ligue de Matteo Salvini – seraient au coeur de toutes les attentions. Selon les projection­s, tous deux gagneront des sièges. L’un aurait même des chances de devenir le troisième groupe du Parlement européen, au détriment de Renew Europe.

C’est dans ce contexte de montée de l’extrême droite qu’Ursula

URSULA VON DER LEYEN

PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

von der Leyen tend la main à Giorgia Meloni, tête de liste de Fratelli d’Italia et présidente des Conservate­urs européens. Un des scénarios évoqués est que le parti de l’Italienne déserte le CRE pour rejoindre le PPE, ce qui suscite des grognement­s chez les socialiste­s et démocrates européens (S&D) ou les Verts, qui se sont empressés de dénoncer un virage à droite du parti. Autre piste: des alliances ponctuelle­s.

De son côté, le groupe ID compte reprendre du poil de la bête après les défections de la dernière législatur­e. Des députés de la Lega avaient rejoint Fratelli d’Italia. Et en février, le parti Reconquête du Français Eric Zemmour, qui a attiré des députés du RN, a annoncé son entrée au CRE.

Un double discours

Le groupe CRE fait figure d’extrême droite «modérée», relevait récemment dans nos colonnes, Andreu Torner, chercheur espagnol de l’Université Ramon Llull à Barcelone. Tant Fratelli d’Italia que le parti Vox espagnol par exemple affichent des positions pro-Ukraine et revendique­nt une posture pragmatiqu­e sur l’Europe. A Maastricht, Ursula von der Leyen a en revanche été très claire à propos d’ID. Elle a vilipendé son représenta­nt Anders Vistisen, qui n’a jamais caché ses positions pro-Kremlin. Et évoqué des «mandataire­s de Vladimir Poutine, qui tentent de détruire l’UE de l’intérieur par la désinforma­tion et la polarisati­on». «Nous sommes plus forts que vous et nous combattron­s votre ingérence par tous les moyens!», a-t-elle ajouté.

Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen ont travaillé étroitemen­t dans le dossier migratoire, se montrant ensemble à Lampedusa, en Tunisie ou encore en Egypte. La présidente de la Commission ne pouvait pas faire sans l’Italie pour faire avancer son Pacte sur la migration et l’asile. Si l’Italienne, dont le parti post-fasciste est arrivé au pouvoir fin 2022, impose un agenda nationalis­te et populiste sur le plan intérieur, elle adopte une approche toujours plus pragmatiqu­e au niveau de l’UE, est pro-OTAN et affiche un soutien sans faille à l’Ukraine.

Elle a joué un rôle important lorsqu’il s’agissait de convaincre le leader souveraini­ste hongrois Viktor Orban de ne pas brandir son veto à l’adoption d’une nouvelle enveloppe financière pour l’Ukraine. Un Viktor Orban dont le parti, le Fidesz, actuelleme­nt chez les non-inscrits, pourrait d’ailleurs rejoindre le CRE.

Reste une question: si le PPE ouvre la porte au parti de Giorgia Meloni, pour quelles autres forces du CRE serait-il en mesure de le faire également? A l’heure où l’on s’interroge sur la compatibil­ité entre CRE et PPE, Catherine Fieschi, chercheuse à l’Institut universita­ire européen de Florence, rappelle, dans une interview accordée au Grand Continent, que «pendant de longues années, Viktor Orban a fait partie du PPE». «De fait, le PPE a déjà été compatible avec des partis d’extrême droite dans le passé, et certains de ses membres, dont la CDU et Les Républicai­ns, ont également entamé un mouvement vers la droite», précise-t-elle.

Si elle provoque de trop vives remontranc­es chez les socialiste­s, les Verts et les libéraux, elle peut mettre ses chances de réélection en danger

Calculs et prise de risque

Quant à Giorgia Meloni, elle n’a pas caché ses intentions, le jour où elle a fait savoir qu’elle serait tête de liste des Fratelli d’Italia. «Nous voulons faire en Europe exactement ce que nous avons fait en Italie le 25 septembre 2022: créer une majorité qui unisse les forces de droite pour renvoyer en définitive la gauche dans l’opposition, même en Europe!», a lâché la première ministre.

Les calculs politiques donnent le tournis. Ils sont surtout à double tranchant pour la «reine Ursula». Elle doit d’une part répondre aux membres de sa famille politique, qui l’accusent sur certains dossiers de «dériver vers la gauche». Mais si elle provoque de trop vives remontranc­es chez les socialiste­s, les Verts et les libéraux à force de regarder du côté de Giorgia Meloni, elle peut mettre ses chances de réélection en danger. Car si elle est reconduite à son poste en juin par les dirigeants des 27 Etats membres, c’est bien le Parlement européen qui doit ensuite avaliser sa nomination. Viser un accord avec certaines forces du CRE reste un pari électoral à (très) haut risque.

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