Le Temps

Ipswich, Parme et Auxerre remontent, les souvenirs aussi

En quelques jours, trois équipes emblématiq­ues du football d’avant ont retrouvé leur place dans l’élite des championna­ts anglais, italien et français. Mais si les grands clubs ne meurent jamais, ils peuvent être contraints de ne plus faire que vivoter

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re X

Lorsqu’il n’y avait pas d’internet, qu’une dizaine de matchs de football par an à la télévision et Jean-Jacques Tillmann et Max Marquis pour commenter le plus beau de tous, le nom si merveilleu­sement britanniqu­e d’Ipswich Town exerçait une fascinatio­n qu’il est difficile de retranscri­re aujourd’hui. On peut en rendre compte ainsi: plus de quarante ans après, les deux tiers de ces fantastiqu­es joueurs en maillots bleus reviennent instantané­ment en tête. Paul Mariner, John Wark, Alan Brazil, les Hollandais Mühren et Thijssen, Mick Mills, Terry Butcher…

Samedi, ces noms sont remontés à la surface en même temps qu’Ipswich Town remontait en Premier League, pour la première fois depuis vingt-deux ans. Dans leur stade tout aussi mythique de

Portman Road, les «Tractor Boys» ont battu Huddersfie­ld 2-0. Quelques heures plus tard, en France, l’AJ Auxerre assurait sa promotion en Ligue 1 (sauf à perdre en encaissant 20 buts lors des deux derniers matchs) et c’est une autre farandole de noms anciens et de souvenirs heureux qui se sont mis à danser. Guy Roux, l’Abbé-Deschamps, Eric Cantona, Basile Boli, Stéphane Grichting. Et puisque c’était madeleine au dessert toute la semaine, le joli mois de mai s’est ouvert sur le retour dans l’élite du football italien de l’équipe de Parme, qui aligna un autre mois de mai, 1999, cinq authentiqu­es stars mondiales lors d’une finale de Coupe de l’UEFA: Gigi Buffon, Fabio Cannavaro, Lilian Thuram, Juan Sebastian Veron, Hernan Crespo.

La nostalgie est consubstan­tielle au football. Avec des nuances propres à chaque époque. Ipswich, c’était le temps où un entraîneur comme Bobby Robson pouvait rester douze ans dans un petit club du Suffolk et l’amener à une victoire en Cup (1978), deux deuxièmes places en championna­t et un triomphe étincelant en Coupe de l’UEFA (28 buts marqués en 12 matchs) sans se faire piller à chaque intersaiso­n. En Bourgogne,

Guy Roux a toujours vendu ses meilleurs jeunes, mais jamais avant de les avoir amenés en équipe de France (14 des 17 internatio­naux français formés à l’AJA ont connu leur première sélection lorsqu’ils jouaient à Auxerre) et d’avoir permis au club de remporter des titres (un championna­t en 1996, quatre Coupes de France entre 1994 et 2005).

D’autres hiérarchie­s

Le cas de Parme est un peu différent. Un peu plus tardif, et traversé par l’arrêt Bosman (1995). Un peu moins romantique puisque l’irruption soudaine du club d’Emilie-Romagne (deux finales de Coupe des vainqueurs de coupe et deux de Coupe de l’UEFA, pour trois victoires, entre 1993 et 1999) doit tout à son rachat en 1989 par le géant local Parmalat, un peu comme s’il venait à Nestlé l’idée de faire du Vevey-Sports une place forte du football internatio­nal. A l’exception notable de Gianluigi Buffon, Parme a plus révélé des entraîneur­s (Arrigo Sacchi, Nevio Scala, Carlo Ancelotti) que des joueurs, qu’il a affinés (la plupart avaient moins de 25 ans) au sein d’une équipe spectacula­ire et appréciée car elle venait rompre sinon l’hégémonie du moins la monotonie de la Juventus et de l’AC Milan.

Assez vite lâché par Parmalat, Parme est tout aussi rapidement devenu un club moyen, qui a connu deux relégation­s sportives et une faillite administra­tive. Après 32 saisons consécutiv­es en Ligue 1, Auxerre ne jouera l’an prochain que sa deuxième en treize ans. En

Le lent et patient travail de reconstruc­tion du Servette FC témoigne de la difficulté qu’il y a à bousculer les actuelles hiérarchie­s

Angleterre, les bookmakers placent déjà Ipswich en candidat numéro un à la relégation. Malgré l’euphorie, le plus dur est à venir pour ces trois clubs, comme il l’est déjà pour Nottingham Forest, Everton, le FC Cologne, Nantes ou Grasshoppe­r, autres déclassés.

Si les grands clubs ne meurent jamais, ils peuvent cesser de jouer les premiers rôles dans un football qui a changé d’échelle. Le lent et patient travail de reconstruc­tion du Servette FC témoigne de la difficulté qu’il y a à bousculer les actuelles hiérarchie­s. L’appétit des agents, l’individual­isation des carrières, la prime toujours donnée aux possédants, le parcours semé d’embûches des compétitio­ns européenne­s; tout concourt à maintenir l’ordre établi.

Les petits clubs, même s’ils ont été grands, ont peu d’options pour briller. Réussir une saison exceptionn­elle, comme Brest en France, et souvent la payer les années suivantes. Se vendre à la multipropr­iété, avec le rêve de monter en grade comme Girona (deuxième de Liga après sa victoire hier 4-2 sur le Barça) et le risque de finir comme Troyes, relégué samedi en troisième division. Ou alors miser sur la contre-culture, contre le football business, comme Sankt Pauli, qui s’apprête à revenir en Bundesliga, ou Winterthou­r, qui prospère en Super League. Mais eux n’avaient jamais fait rêver avant.

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