Le Temps

Le regard humaniste de Laurent Cantet s’est éteint

Lauréat d’une Palme d’or pour «Entre les murs», d’après le livre éponyme de François Bégaudeau, le Français est décédé hier à l’âge de 63 ans

- STÉPHANE GOBBO @stephgobbo CINÉASTE

Pour le grand public, Laurent Cantet restera peut-être l’homme d’un seul film: Entre les murs, Palme d’or du Festival de Cannes 2008. Il était alors le premier réalisateu­r français à recevoir le prestigieu­x trophée depuis Maurice Pialat pour Sous le soleil de Satan vingt-et-un ans plus tôt. Comme s’il avait débloqué les compteurs, quatre compatriot­es lui succéderon­t jusqu’à Justine Triet avec Anatomie d’une chute l’an dernier. Lorsqu’on rencontrai­t, quelques mois après son sacre, le natif de Melle, dans les Deux-Sèvres, il avançait que si Entre les murs avait séduit un jury internatio­nal présidé par Sean Penn, c’est parce que «cette petite classe du XXe arrondisse­ment de Paris que l’on regarde vivre peut parler au monde entier». Laurent Cantet est décédé hier 25 avril à l’âge de 63 ans seulement – «de maladie», a simplement annoncé son agent – et laisse une filmograph­ie ténue, un téléfilm (Les Sanguinair­es, 1998) suivi de huit longs métrages de cinéma.

Le premier, Ressources humaines (2000), racontait l’histoire d’un jeune diplômé d’une haute école découvrant la brutalité du monde travail et la manière dont sont (mal) traités les ouvriers. Le deuxième, L’Emploi du temps (2001), s’inspirait de l’affaire Jean-Claude Romand, ce Français ayant assassiné sa famille après leur avait fait croire pendant près de vingt ans qu’il était médecin et chercheur à Genève. Un drame qui avait inspiré à Emmanuel Carrère le récit L’Adversaire, adapté par Nicole Garcia. Mais l’écrivain lui-même a avoué préférer le film de Cantet.

Au coeur des débats sociétaux

Suivra Vers le sud (2005), belle évocation, avec une formidable Charlotte Rampling, du rapport au vieillisse­ment, au corps et à la sexualité. Puis viendra Entre les murs, adaptation du livre éponyme de François Bégaudeau dans laquelle celui-ci joue son propre rôle d’enseignant. En prenant le parti, à l’instar du roman, de rester «entre les murs» d’un collège, Cantet signait un film qui, au-delà de sa rigueur formelle et de son apparente austérité, est d’une immense fraîcheur. Filmant à la même hauteur le prof et ses élèves, il propose une passionnan­te réflexion autour des notions d’éducation et de respect, tout en se contentant, à la manière d’un documentar­iste, de se faire le miroir d’une réalité sans vouloir à tout prix chercher à l’expliquer.

Fils d’enseignant­s, Laurent Cantet aimait citer Renoir, qui disait que le problème, dans la vie, c’est que tout le monde a ses raisons. Pour lui, impossible dès lors de résumer le monde à travers une ligne droite, ce que reflétaien­t ses films, engagés sans être militants. Fort de sa Palme d’or, il s’attaquait en 2012 et en anglais, avec Foxfire, d’après Joyce Carol Oates, au fléau du machisme et du patriarcat. Avec le recul, il est frappant de constater à quel point les thèmes qu’il a pu aborder sont devenus ces dernières années au coeur des débats sociétaux et artistique­s.

Il fera en 2017 son retour à Cannes, dans la section Un Certain Regard, avec L’Atelier, un film hélas décevant sur une romancière parisienne travaillan­t avec des jeunes en insertion. Et c’est encore un écrivain qui sera au coeur d’Arthur Rambo (2021), avec en toile de fond la montée de l’homophobie et de l’antisémiti­sme. Laurent Cantet travaillai­t actuelleme­nt sur un projet baptisé L’Apprenti, pour une sortie possible en 2025.

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LAURENT CANTET

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