La situation des locataires se dégrade en Suisse
Les logements à louer manquent et leur prix risque fort de progresser vu les tendances actuelles sur le marché, selon une étude qui s’est intéressée à la durabilité sociale de l’immobilier locatif
Le marché immobilier répond-il suffisamment aux besoins des ménages suisses? Se dirige-t-on vers une amélioration de l’accès au logement? La réponse à ces deux questions est plutôt négative pour les locataires, dont les frais de logement vont de toute évidence augmenter à l’avenir. C’est l’une des conclusions d’une étude de Wüest Partner dévoilée hier, qui s’intéresse notamment à la notion de durabilité sociale du marché immobilier suisse.
De quoi parle-t-on, précisément? En résumé, de la capacité du marché immobilier à fournir des logements abordables et adéquats aux ménages. Or en Suisse, la demande en logements à louer augmente grâce à une croissance démographique forte, de +0,9% en moyenne ces dernières années, soit environ trois fois plus que notre voisin français, et à une augmentation encore plus marquée du nombre de ménages.
Des taux de vacance à 1,15%
Ce second point résulte «du vieillissement de la population et de la progression du nombre de familles monoparentales, qui se traduisent aussi par des ménages plus petits», explique Corinne Dubois, économiste chez Wüest Partner.
Face à cette demande, la disponibilité des logements se dégrade, détaille l’étude. Premier constat: les taux de vacance restent bas, à 1,15% sur l’ensemble du pays en 2023. Dans 21 cantons, ce taux était inférieur au taux de vacance d’équilibre de 1,27%, c’est-à-dire au taux qui fait que les loyers restent stables, après prise en compte de l’inflation.
Autre illustration, le nombre de logements proposés à la location a reculé de 30% par rapport à 2020, avec une baisse encore plus marquée (-39%) pour ceux dont les loyers ne dépassent pas 1500 francs. Conclusion: «La situation des locataires s’est aggravée.»
Car – c’est le deuxième constat – paradoxalement, la construction recule et ne répond pas à cette demande en hausse. Le nombre de permis de construire accordés en 2023 était inférieur de 15% à la moyenne nationale de la dernière décennie. Ce recul atteint même 80% en Appenzell Rhodes-Extérieures et 90% à Schaffhouse.
Là encore les explications sont multiples, poursuit Corinne Dubois: «La remontée des taux d’intérêt, en 2022 et 2023, a fait qu’il était plus difficile de rentabiliser des projets immobiliers; les coûts de construction ont augmenté, même si on observe une normalisation; les terrains à bâtir manquent et la possibilité de devoir surmonter des oppositions décourage parfois des promoteurs.»
Déménager? Surtout pas!
En Suisse romande, le nombre de permis de construire délivré en 2023 a le plus fortement baissé dans le Jura (-53%), à Neuchâtel (-46%) et dans le canton de Vaud (-36%), alors qu’il a reculé de 4% en Valais et progressé de 7% à Genève.
En conséquence, les loyers augmentent et les logements deviennent moins accessibles. «Dans l’Arc lémanique, plus de 20% des ménages consacrent plus d’un tiers de leurs revenus à leur loyer, or on considère que c’est une limite au-delà de laquelle le logement devient inabordable», observe encore Corinne Dubois. La situation est encore pire pour les logements loués entre 1000 et 2000 francs, pour lesquels la demande est très importante. L’offre diminue alors que 40% des ménages ne peuvent pas payer un loyer brut dépassant 1750 francs. Notamment car 41% des ménages en Suisse sont soit des ménages d’une seule personne, soit des familles monoparentales, et ne disposent donc que d’un seul revenu, note le rapport.
Quelles solutions imaginer, alors? Déménager? «Surtout pas, car louer longtemps un logement permet d’obtenir un loyer plus abordable au fil du temps», répond encore notre interlocutrice. Déménager vers des régions plus périphériques alors? Ce peut être une solution pour des familles recherchant un logement d’une taille adéquate.
L’étude constate d’ailleurs que les recherches sur internet se portent davantage sur les zones extra-urbaines que dans les centres urbains, signe que de plus en plus de gens cherchent à se loger en dehors des villes. Avec déjà la conséquence que le marché locatif devient plus tendu dans les communes d’agglomérations et même dans les zones rurales entourant ces agglomérations. La solution, finalement: densifier, en particulier dans les zones à forte demande.
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«Dans l’Arc lémanique, plus de 20% des ménages consacrent plus d’un tiers de leurs revenus à leur loyer» CORINNE DUBOIS, ÉCONOMISTE CHEZ WÜEST PARTNER