«Les entreprises sont étouffées»
MANUFACTURE Cap sur le Jura avec Métafil-laGirolle, l’une des nombreuses sociétés industrielles de ce canton. Pierre Rom, son directeur s’inquiète de la perte de compétitivité de ce secteur
Métafil-laGirolle est une de ces petites entreprises de micromécanique dont le canton du Jura regorge. Sauf qu’au-delà des activités de sous-traitance et d’outillage horloger, Métafil-laGirolle s’est fait un nom auprès du grand public dans les années 1980. En inventant le célèbre dispositif qui permet de produire des rosettes de Tête de Moine, elle a contribué à l’essor de ce fromage né à Bellelay, une commune qui le fêtera d’ailleurs les 4 et 5 mai prochain.
Directeur de la PME qui compte une vingtaine d’employés, Pierre Rom évoque, à quelques années de la retraite, la situation de son entreprise avec un franc-parler tout jurassien, signalant que la déferlante IA ne touche pas son entreprise. Dans un éclat de rire, il espère qu’elle ne «nous enverra pas tous à l’AI». Le ton est donné.
Comment votre situation a-t-elle évolué depuis le début des années 2020? Pour nous, la crise a commencé beaucoup plus tôt, en 2008, quand l’euro a dégringolé par rapport au franc suisse. On ne se rend pas compte que les prix dans la monnaie européenne ont pratiquement été divisés par deux par rapport à la Suisse ce qui nuit gravement à notre compétitivité. Il ne faut donc pas s’étonner qu’aujourd’hui, les entreprises industrielles manquent de liquidités car elles sont étouffées. Nos clients vont chercher des sous-traitants de l’autre côté de la frontière et, pour nous, ce n’est pas viable. Nous n’avons plus de marge. Heureusement, nous avons des propriétaires qui nous soutiennent de façon ponctuelle pour traverser les années les plus difficiles.
On parle actuellement beaucoup de politique industrielle. Attendez-vous davantage de soutien de l’Etat? L’Etat n’est pas forcément à l’écoute car il dit que c’est à nous de trouver des solutions. Mais ce n’est pas facile quand on est confronté à des pays qui ont un salaire moyen de 2000 francs contre 5600 francs chez nous. Il faut tout de même relever que la Confédération a bien joué le jeu pendant la pandémie avec les prêts covid. Aujourd’hui, toutefois, les intérêts de ces emprunts et leurs remboursements empêchent les entreprises d’investir. Nous, nous avons eu la chance d’avoir un soutien à fonds perdu du canton du Jura pour notre bureau de développement. Cela nous a permis de rembourser une partie de notre crédit.
Rencontrez-vous des difficultés à recruter, alors que le marché de l’emploi est très tendu? Pour une PME comme la nôtre, il est très difficile de rivaliser avec les grands groupes qui offrent des conditions plus favorables. Il faut surtout se demander d’où vient cette pénurie de main-d’oeuvre. Pendant les confinements, les gens ont pris goût aux loisirs et aimeraient davantage travailler à temps partiel, à 70 ou 80%. Automatiquement, vous vous retrouvez au final avec un manque de personnel.
«Nos clients vont chercher des sous-traitants de l’autre côté de la frontière et, pour nous, ce n’est pas viable»
Cela vous préoccupe? Beaucoup, parce que j’observe un nivellement par le bas de la main-d’oeuvre. Nous formons des apprentis et le remarquons par exemple lors de tests de recrutement que nous faisons. Les résultats en orthographe et en mathématiques sont aujourd’hui catastrophiques. Pour survivre, l’industrie doit se spécialiser dans des secteurs pointus. Si elle ne trouve plus les employés qui ont un niveau suffisant, cela devient très compliqué. Sans compter que les nouvelles générations sont davantage préoccupées par ce qui se passe sur leur Natel que dans le vrai monde. C’est un véritable fléau pour les entreprises. A tel point que nous devons mettre des garde-fous dans les ateliers, mais trouver tout de même des solutions pour que nos employés puissent être atteints en cas d’urgence.
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