L’Egypte regarde vers Rafah avec anxiété
Le Caire s’inquiète pour l’intégrité de la péninsule du Sinaï, alors que grandit la menace d’une invasion terrestre imminente dans la ville palestinienne frontalière de Rafah. Entre coopération et invectives à l’encontre d’Israël, les autorités égyptienne
Les célébrations ont eu une résonance particulière cette année. L’Egypte a commémoré hier la fin de l’occupation israélienne dans le Sinaï il y a 42 ans, alors que le pays redoute une nouvelle déstabilisation de la péninsule frontalière par une invasion terrestre de Tsahal dans la ville frontalière de Rafah. «L’histoire de la lutte des Egyptiens pour le Sinaï est une épopée d’héroïsme et de rédemption, de persévérance, de sacrifice et d’insistance inexorable à préserver les droits de cette grande nation, sans compromis», a déclaré le président Sissi lors d’une allocution. Avant d’ajouter: «Le Sinaï, qui a été libéré par la guerre et la diplomatie, restera un témoin de la force de l’Egypte.»
A l’occasion d’une cérémonie anticipée mardi – le 25 étant désormais férié – le général Sissi a déposé une couronne de fleurs au mémorial du soldat inconnu, au Caire, avant de se rendre sur la tombe de l’ancien président Anouar el-Sadate, au pouvoir durant la guerre du Kippour en 1973. Plus connue en Egypte sous le nom de «guerre d’Octobre», l’offensive égyptienne avait notamment comme objectif la récupération des terres du Sinaï, occupées par Israël depuis la guerre des Six-Jours en 1967.
L’ouverture de négociations et la signature des accords de paix de Camp David en 1978 ont finalement permis au pays de récupérer par étapes l’ensemble de ce territoire à la géographie désertique, en échange de la reconnaissance de l’Etat d’Israël.«Depuis, les relations entre les deux pays ont traversé des hauts et des bas; on a parfois parlé de «paix froide», affirme Nael Shama, chercheur indépendant en relations internationales.
«Ces deux dernières années, elles s’étaient toutefois renforcées, dans les domaines sécuritaire et économique notamment.» L’Egypte est en particulier de plus en plus dépendante des importations de gaz naturel israélien, alors que ses propres ressources commencent à se tarir. «Un écart s’est creusé entre la population égyptienne, solidaire avec les Palestiniens et qui depuis le conflit à Gaza en particulier perçoit Israël comme un ennemi, et la position des autorités qui est plus mitigée», observe Nael Shama.
La perspective d’une attaque terrestre imminente de l’armée israélienne à Rafah, où se sont réfugiés dans des conditions humanitaires catastrophiques 1,2 million de Palestiniens depuis le lancement des représailles israéliennes le 7 octobre à Gaza, fait néanmoins ressurgir les tensions diplomatiques. L’Egypte redoute notamment une fuite massive de populations civiles dans le Sinaï, une région encore instable, secouée il y a quelques années par une insurrection islamiste.
«La position égyptienne a été claire dès le début, rejetant complètement tout déplacement des Palestiniens de leurs terres vers le Sinaï ou vers tout autre endroit afin de préserver la cause palestinienne de la liquidation et protéger la sécurité nationale de l’Egypte», a notamment rappelé hier le président Sissi.
Un rejet que la partie israélienne semble avoir intégré puisque, selon des responsables égyptiens anonymes au Wall Street Journal, Tel-Aviv envisage désormais d’évacuer la population civile vers la ville de Khan Younès, plus au nord de l’enclave. Une proposition inexécutable, selon Nebal Farsakh, porte-parole du Croissant-Rouge palestinien.
«Une menace pour les relations égypto-israéliennes»
«Un écart s’est creusé entre la population égyptienne, solidaire avec les Palestiniens, et la position des autorités qui est plus mitigée» NEBAL FARSAKH, PORTE-PAROLE DU CROISSANT-ROUGE PALESTINIEN
«Evacuer plus d’un million de personnes est complètement irréaliste. Une invasion de Rafah ne pourra se traduire que par la mort de milliers de civils et le blocage de l’aide humanitaire.»Les désaccords ne s’arrêtent cependant pas là. L’Egypte s’oppose également à toute prise de contrôle par l’armée israélienne du «corridor de Philadelphie» – ou «corridor de Saladin» –, un étroit couloir d’une centaine de mètres sur 14,5 km de long de frontière considéré comme une zone tampon entre l’Egypte, Israël et Gaza depuis les accords de paix.
Toute tentative de l’occuper, mentionnée à plusieurs reprises comme un objectif par le président israélien Benyamin Netanyahou, serait considérée par l’Egypte comme «une menace sérieuse pour les relations égypto-israéliennes», a déclaré Diaa Rashwan, président de l’Organisme général de l’information. Evacuée en Egypte avec ses enfants en décembre dernier, parmi lesquels se trouvait un fils de 10 ans atteint de myopathie, Maysoun espère que la zone sera épargnée. Ses frères, avec qui elle est en contact par intermittence, y ont trouvé refuge, explique-t-elle.
«Si les Israéliens entrent dans Rafah, je pense que ce sera surtout plutôt dans la partie orientale. Concernant la frontière, il devrait bien y avoir une forme de coordination avec l’Egypte au sujet de l’évacuation des personnes qui s’y trouvent, espère-t-elle. Là-bas, les gens ont peur mais ils ne peuvent rien faire.»
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