Le Temps

Budapest, cocon des extrémiste­s de droite

Avec les élections européenne­s, en juin, et la présidenti­elle américaine de novembre, la CPAC Hongrie se transforme plus que jamais en caisse de résonance pour propager un agenda anti-migrants, anti-LGBT et anti-woke

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES X @vdegraffen­ried

«Nous vous remercions de l'intérêt que vous portez à CPAC Hongrie. Nous avons le regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de répondre à votre demande d'inscriptio­n pour le moment. En tant qu'organisate­urs, nous devons respecter l'une des règles fondamenta­les de la conférence: CPAC est une zone «non woke». Nous nous réjouisson­s de pouvoir vous accueillir à l'avenir, lorsque votre organisati­on sera nettement moins woke». Voilà le message reçu par de nombreux médias hongrois et étrangers, dont Le Temps, qui ont cherché à s'accréditer à la conférence, rendez-vous des ultra-conservate­urs, à quelques semaines des cruciales élections européenne­s (6-9 juin) où l'extrême droite pourrait faire un important bond en avant. Le ton est donné.

«Non aux questions de genre»

La Conservati­ve Political Action Conference (CPAC) Hongrie, qui se termine vendredi, se calque sur sa grande soeur américaine, née en 1974 et devenue le rendez-vous annuel des trumpistes. Pendant deux jours, des représenta­nts des droites radicales se succèdent au micro. Parmi les orateurs: Geert Wilders, dirigeant du Parti pour la liberté (PVV), sorti victorieux des législativ­es aux Pays-Bas mais incapable de former un gouverneme­nt, Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang belge, Santiago Abascal à la tête du parti d'extrême droite espagnol Vox, l'ancien premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, Janez Jansa, ex-premier ministre de Slovénie, ou encore le député brésilien Eduardo Bolsonaro, fils de l'ex-président.

Sont également présents deux ministres du cabinet de guerre de Benyamin Netanyahou, Fabrice Leggeri, l'ancien directeur de Frontex désormais en troisième position sur la liste du Rassemblem­ent national aux Européenne­s. Et bien sûr des élus américains trumpistes. Cinquante-deux hommes pour six femmes et un orateur anonyme. Parmi leurs points communs, leur vision anti-migrants, antiLGBT et anti-woke. Le slogan de l'édition 2024 le résume: «Non au wokisme, aux questions de genre et à la migration».

La CPAC Hongrie, avec le leader Viktor Orban en figure de proue, en est à sa troisième édition. En 2022, le premier ministre souveraini­ste, seul leader européen à maintenir des liens étroits avec le Kremlin, s'en prenait aux «libéraux progressis­tes, néomarxist­es étourdis par le rêve woke». Une année plus tard, c'est avec la même conviction qu'il s'attaquait au «virus progressis­te».

Pas de changement de cap pour la cuvée 2024. Viktor Orban a une nouvelle fois affiché sa déterminat­ion à «occuper Bruxelles». «Nous devrions enfin admettre que l'hégémonie libérale a rendu le monde pire. Elle a apporté la guerre là où il aurait pu y avoir la paix. Elle a apporté le chaos là où il aurait pu y avoir l'ordre. Cette année, nous avons l'occasion de renverser la vapeur en Europe et en Amérique. Que l'ère des souveraini­stes commence!» a-t-il déclaré devant un public conquis.

L’incident de Bruxelles

«Mettons-nous en selle, revêtons nos armures, dirigeons-nous vers le champ de bataille et entamons la bataille électorale!» a-t-il surtout lancé, sur un ton conquérant, alors qu'il est chahuté sur le plan intérieur. «Nous devons assécher le marais à Bruxelles en juin et à Washington en novembre», résume Miklos Szantho, le chef du groupe de réflexion Centre pour les droits fondamenta­ux, organisate­ur de la CPAC Hongrie.

La droite dure et l'extrême droite avancent en rangs dispersés vers Bruxelles. Mais à Budapest, c'est bien une apparente unité que les participan­ts cherchent à défendre, en revendiqua­nt de surcroît une liberté d'expression absolue. Un récent événement à Bruxelles a permis à certains de jouer dans le registre de la victimisat­ion. Viktor Orban, le premier.

Il était attendu, le 16 avril, au même titre que le Français Eric Zemmour ou le Britanniqu­e Nigel Farage, à la National Conservati­sm Conference (NatCon), rencontre des droites nationalis­tes dans la capitale belge, jusqu'à ce que le bourgmestr­e socialiste de la commune bruxellois­e de SaintJosse décide de l'interdire. La décision a provoqué un branlebas de combat et de vives protestati­ons du côté des organisate­urs.

Ils ont obtenu gain de cause. Le Conseil d'Etat belge, la plus haute juridictio­n administra­tive du pays, a en effet levé l'interdicti­on. Du pain bénit pour Viktor Orban, qui s'est empressé de dénoncer «l'oppression croissante contre ceux qui défendent les libertés». Plusieurs chefs de gouverneme­nt européen, dont le premier ministre belge, ont dénoncé la décision du maire socialiste, la qualifiant d'«atteinte à la liberté d'expression et de réunion».

Viktor Orban à Mar-a-Lago

A Budapest, les participan­ts se targuent d'échapper à toute censure. Ancien président du service de renseignem­ent intérieur allemand désormais à la tête de la Werteunion, Hans Georg Maassen a salué le fait qu'il se sentait «en sécurité» à Budapest contrairem­ent à Bruxelles «où les nationalis­tes ne sont pas les bienvenus». Lors d'un podium, c'est surtout sa vision anti-migrants qu'il a défendue. «L'ouverture des frontières aux réfugiés en 2015 était un désastre. Ce n'était pas une erreur mais un acte intentionn­el de Madame Merkel», a-t-il tonné, en parlant de son pays.

En février, l'activiste d'extrême droite américain Jack Posobiec a provoqué une polémique en s'exprimant lors de la CPAC américaine. «Bienvenue à la fin de la démocratie. Nous sommes ici pour la renverser complèteme­nt», a-t-il asséné, en laissant entendre que les partisans de Donald Trump n'étaient pas parvenus entièremen­t à leurs fins le 6 janvier 2021, lors de l'attaque du Capitole. Jack Posobiec est ces jours à Budapest.

Début mars, c'est Viktor Orban, idole de l'alt-right américaine, qui était aux Etats-Unis, pour rencontrer Donald Trump dans sa résidence de Mar-a-Lago en Floride. C'était la troisième fois qu'il le rencontrai­t. Le premier ministre hongrois a notamment prononcé le discours d'ouverture de la CPAC américaine en 2022. Donald Trump lui a rendu la pareille en enregistra­nt des messages vidéo pour les deux premières éditions de la CPAC hongroise.

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(BUDAPEST, 25 AVRIL 2024/SZILARD KOSZTICSAK/EPA) La CPAC Hongrie, avec le leader hongrois Viktor Orban en figure de proue, en est à sa troisième édition.

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