Les promesses du modèle québecois
Entre l’Uruguay, où la production, la vente et la consommation d’herbe sont sous contrôle étatique, et la voie libérale prise par les Etats-Unis, le modèle le plus souvent cité en exemple par les acteurs de la santé publique en Suisse est celui du Québec. Le Canada a autorisé l’ouverture de points de vente privés et publics de cannabis en 2018. Certaines provinces octroient des autorisations de distribution à des entreprises privées. D’autres ont opté pour un strict monopole public. C’est le cas du Québec, qui a créé une nouvelle entreprise, la Société québécoise du cannabis (SQDC), pour gérer la vente et la distribution de l’herbe.
«Alors que partout ailleurs, en Amérique du Nord, il y a une volonté de développement économique affirmée, au Québec, c’est la dernière des priorités. Pour protéger la santé publique, l’industrie ne doit pas déterminer le prix et l’offre», souligne François Gagnon. Le chercheur et conseiller politique au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a présenté le modèle québécois aux membres de la sous-commission «réglementation du cannabis» du parlement suisse en novembre 2022 déjà.
Cinq ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le marché légal capte une part du marché illégal, mais il ne l’a pas éliminé. Selon des estimations qui varient d’une province canadienne à l’autre, entre 50 et 75% du marché a été transféré dans les réseaux de distribution autorisés. Quant à l’impact sur la consommation, il varie selon les tranches d’âge.
«Au Québec, nous constatons une hausse globale des consommateurs, mais elle reste légère». Selon la dernière enquête québécoise sur le cannabis, environ 17% de la population de plus de 15 ans avait consommé du cannabis en 2023, contre 14% en 2018. «La hausse concerne surtout les jeunes de 21 ans et plus, ce qui correspond à l’entrée dans l’âge de consommation légale, précise François Gagnon. Chez les adolescents de 17 ans ou moins en revanche, la consommation a tendance à baisser», souligne encore François Gagnon, qui juge le bilan global positif: «Les autorités voulaient éviter de créer un nouveau marché comme l’alcool. Cinq ans plus tard, le pari est plutôt réussi. Et on se demande désormais comment dépenser dans la prévention les sommes gagnées».
En cinq ans, la SQDC a vendu 390 tonnes de cannabis, générant des revenus globaux de 2,3 milliards de dollars et un bénéfice de 280 millions, selon les informations données par l’organisation sur son site. Depuis 2018, elle a versé 800 millions de dollars au gouvernement du Québec, dont 573 millions au Fonds de lutte contre les dépendances.
Pour les entreprises privées, autorisées dans d’autres provinces qu’au Québec, le bilan est beaucoup plus mitigé. «De nombreux producteurs ont réalisé de gros investissements au démarrage, avant de revoir leurs capacités à la baisse, car le marché ne s’est pas autant développé que ce qu’ils imaginaient. Ils se plaignent aujourd’hui de ne pas gagner assez d’argent et d’être trop limités par la régulation. Seuls les monopoles publics de vente au détail s’avèrent profitables», observe Michael Armstrong, professeur de l’Université de Brock, qui étudie les aspects économiques de la légalisation.
Selon lui, il y a deux leçons à tirer de l’exemple canadien. «Toute politique de régulation du cannabis est un compromis. Il faut choisir la moins mauvaise des solutions». Et, aussi controversés que les débats soient en amont, une fois la loi entrée en vigueur, cela devient un non-sujet. «L’apparition de magasins vendant du cannabis n’a rien changé à la vie de la plupart des Canadiens. Dès lors, pourquoi devraient-ils s’en préoccuper?» ■