«Renegade Nell»
Si vous avez… 8 x 50’
Il faut l’appeler Nell, pas «Nelly». Ce brouillage de genres pose le personnage, au caractère bien trempé, qui revient dans son village natal après avoir bourlingué. Nell(y) Jackson (Louisa Harland, révélée par Derry Girls) se rabiboche avec son père, dont elle avait brisé le coeur en partant à l’aventure.
Elle découvre une nouvelle donne dans le comté: ivre en permanence, le fils du souverain local brutalise tout ce qu’il croise. Nell affronte le seigneur et se retrouve accusée de son meurtre. Avec ses deux soeurs, l’une convoitée par la brute, elle n’a d’autre choix que de se cacher dans la forêt. D’autant qu’elle est vite traquée par un esprit autrement plus maléfique que le rustre du coin, un genre de masque de fer piloté par la noire pensée d’un magicien maléfique.
Car dans cette Grande-Bretagne du XVIIIe siècle, les lutins et les démons contrôlent, ou sont contrôlés par, les humains. Attaquée dans les bois, Nell se découvre une force inouïe provenant d’un farfadet qui lui apparaît de temps à autre, et qui lui offre ce pouvoir surnaturel.
Autant dire qu’il ne faut pas s’appesantir sur le réalisme historique de Renegade Nell, ce n’est pas le propos. L’air est aux Robin(e)s des bois, puisque Disney+ propose sa vengeresse des taillis peu après qu’Apple TV+ a lancé son Dick Turpin, hommage à un détrousseur poli dont le mythe, lui, est bien réel dans l’histoire du pays.
Avec sa rebelle Nell, Sally Wainwright, figure du paysage britannique à qui on doit, entre bien d’autres, Happy Valley et Gentleman Jack, semble vouloir s’éloigner du polar ou de la reconstitution historique. Elle s’aère l’esprit en mode Verte Albion. On se demande parfois si les scénaristes savent exactement ce qu’ils comptent faire au prochain épisode, mais cette fantaisie enlevée, voire acrobatique quand Nell fait sa voltige, vaut le détour même par ses ruelles boueuses et ses champs vaseux.
Avec son pantalon écarlate de soldat, l’héroïne inverse tous les codes, sans qu’il y ait donc une ambition s’agissant de l’Histoire avec majuscule. La créatrice revisite simplement ses classiques de brigandage au grand coeur. En bonus, on y gagne un Nick Mohammed échappé de Ted Lasso, où il campait Nathan Shelley, l’homme à tout faire qui prend du galon, et qui ici interprète l’elfe bienfaiteur. Outre une sympathique pirate des terres à la mode Walter Scott, on a un mini-Nathan parfois petit comme une libellule et virevoltant en tous sens. N. Du.
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Une série de Sally Wainwright (2024).
A voir sur Disney+.
Si vous avez… 8 x 50’
Andrew Scott est l’un des acteurs les plus enthousiasmants du moment. On le suit depuis longtemps: à 47 ans, l’Irlandais a pour lui une jolie filmographie – il était ce Moriarty magnétique dans la série Sherlock (2010) aux côtés de Benedict Cumberbatch, ce prêtre sexy dans Fleabag (2019) qui a rendu fou internet, ce directeur des services corrompu dans Spectre (2015).
Steven Zaillian, à qui on doit les scénarios de La Liste de Schindler ou de The Irishman, a eu fin nez en voyant en lui un parfait Tom Ripley. Le personnage n’en est pas à son premier tour sur les écrans. Tout commence par le roman, Le Talentueux M. Ripley (1955), thriller psychologique qui a marqué son époque. L’histoire d’un jeune New-Yorkais un peu crapuleux, vivotant de ses petites escroqueries, qui est approché par le magnat du transport maritime M. Greenleaf pour une mission (grassement payée): se rendre en Italie où son fils Dickie passe du bon temps, et le persuader de rentrer. Mais Tom oubliera vite l’objectif, développant une fascination pour Dickie et sa vie dorée, au point de vouloir prendre sa place…
Les adaptations cinématographiques de cette escalade égotique n’ont pas manqué, comme Plein soleil ou Le Talentueux M. Ripley (1999) et son casting alléchant – Matt Damon, Jude Law et Gwyneth Paltrow. Voici donc Ripley, la série… en noir et blanc, choix qui risque d’en rebuter certains mais qui a le mérite de nous plonger dans son époque, le début des
sixties. Et qui permet de splendides jeux de lumière, comme une toile du Caravage dont les oeuvres, omniprésentes, semblent ici comme des mauvais présages.
Répétons-le: la série est splendide, chaque plan transpirant une beauté empoisonnée. Sur le fond, les huit épisodes permettent de dérouler lentement (très lentement!) la pelote pernicieuse qu’est la relation entre Tom et Dickie (Johnny Flynn). Dans laquelle tente d’exister Marge, la copine de ce dernier (Dakota Fanning). «Tout chez Tom est extrêmement vague», souligne-t-elle, méfiante.
Quant aux autres, ils ne savent pas trop quoi penser de cet étrange gentleman sans attaches. Et c’est vrai que pendant longtemps, Tom Ripley reste insondable. y compris lorsque ses actions se font violentes – certains moments estomaquent. Sans surprise, Andrew Scott joue l’ambiguïté avec maestria. Passé les premières 15 minutes, qui font craindre l’hermétisme prétentieux, Ripley révèle ses reliefs. Une série qui, sous sa palette monochrome, irradie. Virginie Nussbaum
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Une série de Steven Zaillian (2024), à voir sur Netflix.