Les leçons taïwanaises face aux risques de séismes
Le plus important tremblement de terre que l’île a connu depuis 1999 n’a fait «que» dix victimes grâce à une bonne préparation en la matière. De l’autre côté du Pacifique, la Californie attend toujours son «big one», et elle a peut-être des enseignements
Taïwan a vécu l'une de ses pires catastrophes depuis plus d'un quart de siècle. Pourtant, l'attention se porte presque plus sur la façon dont l'île est parvenue à éviter le pire que sur la tragédie en elle-même qui, rappelons-le, a pour le moment fait dix morts, 15 disparus, un millier de blessés et provoqué d'immenses dégâts. Alors que la ville de Hualien panse ses plaies, les pays régulièrement soumis à des tremblements de terre ou situés sur une faille sismique observent comment le petit Etat insulaire a limité la casse, notamment grâce à des codes de constructions spécifiques mis en place par le gouvernement. Des exigences en matière de forces sismiques ont même été implémentées dès 1974, précise l'Institut international de sismologie et de génie parasismique.
Certes, le séisme de ce mercredi, mesuré à 7,4 sur l'échelle de Richter, était moins puissant que celui de 1999 – d'une puissance de 7,7 – qui a fait plus de 2400 morts, et n'a pas causé de rupture en surface en restant en profondeur, entre 22 et 62 kilomètres sous terre. Néanmoins, la façon de construire et les enseignements tirés de cet épisode dévastateur il y a 25 ans ont permis à Taïwan de s'en sortir relativement épargné cette fois-ci. L'exemple le plus flagrant est peut-être l'immeuble Uranus, à moitié effondré et à l'équilibre encore plus précaire que la tour de Pise. La construction du bâtiment date d'il y a plus de 30 ans, avant le durcissement des normes imposées par le gouvernement après la catastrophe de 1999. Juste en face trône encore debout l'hôtel Les Champs Hualien. La propriétaire explique au Wall Street Journal qu'elle a «déboursé [l'équivalent de] 312 000 dollars, pour renforcer la structure il y a quelques années, afin qu'[elle] soit plus résistante aux séismes».
Un pendule pour protéger la Taipei 101
Face aux secousses, la solidité des bâtiments est le nerf de la guerre. L'année 1999 marque un tournant à Taïwan. Les immeubles construits après cette date ont dans l'ensemble mieux résisté au tremblement de terre. Stephen Gao, sismologue et professeur à l'Université des sciences et technologies du Missouri, précise auprès de la chaîne PBS que «l'île a mis en place des codes de construction stricts, un réseau sismologique de classe mondiale et de vastes campagnes d'éducation du public sur la sécurité».
A la suite de la catastrophe, un édifice était sous le feu des projecteurs: la tour Taipei 101, haute de 508 mètres, et son énorme pendule accroché à son sommet, devenu symbole de la politique de prévention sismique du petit Etat insulaire. «Un amortisseur à masse accordée est un dispositif monté dans des structures hautes ou larges pour réduire l'amplitude des vibrations causées par les forces environnementales ou les forces causées par l'utilisation. [Il est] conçu pour se déplacer dans une direction opposée aux oscillations de la structure», précise le site A+H Custom Machine, qui a conçu l'objet, pouvant à lui seul réduire les oscillations de la tour de près de 40%.
A contrario, d'autres régions du monde pouvant subir des secousses similaires ont subi un bilan humain et matériel bien plus lourd. C'est le cas par exemple de la Turquie, où plus de 50 000 personnes ont trouvé la mort lors d'un séisme dévastateur début 2023. La solidité des bâtiments avait particulièrement été pointée du doigt. Et au milieu des ruines de la ville de Kahramanmaras, comme un symbole, un bâtiment tenait encore debout: le siège de la Chambre des ingénieurs civils.
L'événement de mercredi pourrait concerner de nombreux autres endroits à travers le monde, sis sur une faille à haute activité sismique. C'est par exemple le cas de San Francisco, qui a déjà connu plusieurs tremblements de terre meurtriers, comme celui de 1906, détruisant près de 80% de la ville, ou plus récemment en 1989, faisant 56 morts et plus de 6 milliards de dollars de dégâts. La région de la Baie se prépare à revivre un événement de la sorte: l'Institut d'études géologiques des EtatsUnis estime qu'«au cours des trente prochaines années, la probabilité qu'un séisme s'y produise est de 72% pour un tremblement de terre de magnitude 6,7, 51% pour un tremblement de terre de magnitude 7 et 20% pour un tremblement de terre d'une magnitude de 7,5.»
Tout comme Taïwan, l'expérience de la «Paris de l'ouest» s'est affinée au fil du temps et des catastrophes, avec l'introduction de normes de construction strictes en matière de sécurité sismique, des plans de préparation et une modernisation des ponts et du tunnel qui traverse la baie. Le San Francisco Chronicle rappelle aussi que «les scientifiques de l'Université de Berkeley peuvent utiliser des capteurs pour détecter la première vague d'un tremblement de terre et estimer sa taille et son épicentre» afin de prévenir la population en amont.
Plus au sud, Los Angeles n'est pas étrangère au problème – avec notamment les séismes de Sylmar en 1971 et de Northridge en 1994 – mais l'inquiétude semble plus grande. Le Los Angeles Times avertissait déjà fin décembre 2023 que plus de 6000 bâtiments étaient à risque dans la deuxième ville la plus peuplée des Etats-Unis et que beaucoup d'édifices ont toujours besoin de rénovations comme «l'ajout d'éléments de soutien tels que des cadres ou des poutres en acier, l'installation de nouveaux murs en béton ou la réparation des soudures vulnérables». Toute la Californie n'est pas non plus logée à la même enseigne en matière de prévention. La région densément peuplée de la baie de San Francisco est par exemple largement équipée de sismomètres alors que la couverture du désert de Mojave et de la Sierra Nevada est insuffisante.
Les catastrophes, comme celle de Taïwan, ont au moins le mérite de pointer du doigt ce qui fonctionne, ou non, en matière de sécurité et de prévention sismique. Après le tremblement de terre de mercredi, Lingsen Meng, géologue à l'Université de Californie à Los Angeles, notait par exemple que Taipei envoie un rapport post-séisme servant à la fois à «éduquer le public et à apporter un sentiment d'apaisement». Un protocole dont ferait bien de s'inspirer la Californie, estime-t-elle. Citée par le Los Angeles Times, la sismologue Lucy Jones rappelle pour conclure que les «tremblements de terre sont inévitables, mais la catastrophe ne l'est pas. […] Nous savons parfaitement comment construire des communautés qui ne s'effondrent pas.»
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L’événement de mercredi pourrait concerner de nombreux autres endroits à travers le monde