Londres sous pression pour interdire l’exportation d’armes vers l’Etat hébreu
Plus de 800 juristes, dont quatre anciens membres de la Cour suprême, estiment que le gouvernement britannique pourrait être «complice de génocide» en poursuivant ces ventes à Israël
La pression mondiale s’accentue pour interdire les exportations d’armes vers Israël. Vendredi, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution «appelant les Etats à cesser les ventes, transferts ou diversions d’armes, de munitions ou d’autres équipements militaires à Israël, la force occupante, afin d’éviter de nouvelles violations du droit humanitaire international». Vingthuit de ses 47 membres ont voté pour cette résolution, 13 se sont abstenus (dont la France), six s’y sont opposés (dont les EtatsUnis et l’Allemagne).
La décision est purement symbolique, le conseil n’ayant aucun moyen légal d’empêcher les ventes d’armes. Mais elle s’ajoute aux appels de plus en plus pressants dans ce sens depuis lundi, quand des frappes d’Israël ont tué sept employés de l’association humanitaire World Central Kitchen.
Parmi eux, trois Britanniques. Et si le Royaume-Uni qui n’est actuellement pas membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (les pays en sont membres sur une base roulante de trois ans) n’a pas participé à ce vote, son gouvernement se trouve désormais dans une situation particulièrement délicate sur le sujet.
«Fortes preuves» de non-respect du droit
Une série d’influents députés de la majorité exhortent à une suspension des ventes d’armes. Vendredi matin, Alicia Kearns, députée conservatrice et présidente du comité parlementaire sur les affaires étrangères, s’est jointe à ces appels. «Nous n’avons pas d’autre choix que de suspendre les ventes d’armes», a-t-elle déclaré à la BBC. Elle précise aussitôt qu’il «ne s’agit pas d’une décision politique», mais d’une obligation légale. Les règles encadrant les exportations d’armes au RoyaumeUni exigent en effet que l’entité qui les reçoit respecte le droit humanitaire international. Or, comme l’explique Peter Ricketts, membre de la Chambre des Lords et lui aussi favorable à une suspension des exportations, il y a désormais «de fortes preuves» qu’Israël «ne le respecte pas».
Ces prises de position font suite à la publication mercredi d’une longue lettre de 17 pages, signée de plus de 800 juristes, dont quatre anciens membres de la Cour suprême. Selon eux, le Royaume-Uni «pourrait être complice de génocide ainsi que de sérieuses violations du droit humanitaire international» en continuant à vendre des armes.
Leurs arguments légaux reposent très largement sur les décisions prises par la Cour internationale de justice (CIJ). Le 26 janvier, suite à la plainte déposée par l’Afrique du Sud, celle-ci rendait une ordonnance intérimaire, estimant qu’il existait un risque plausible de génocide à Gaza. Le 28 mars, elle ajoutait: «Les Palestiniens à Gaza ne font plus seulement face à un simple risque de famine, (…) mais la famine s’installe, avec au moins 31 personnes, dont 27 mineurs, qui sont déjà mortes de malnutrition et de déshydratation.»
Ces ordonnances de la CIJ ont force légale au Royaume-Uni, estiment les juristes dans leur lettre. Le gouvernement britannique est obligé d’en tirer les conséquences. Dans ces conditions, le régime de licence d’exportation d’armes au RoyaumeUni ne laisse guère de place au doute: s’il «existe un risque clair que l’équipement puisse être utilisé pour commettre ou faciliter une violation sérieuse du droit humanitaire international», l’autorisation doit être refusée. «Nous sommes inquiets que le gouvernement britannique ne respecte pas ses obligations internationales dans ce domaine», concluent les juristes.
La question des F-35
Embarrassé, le gouvernement britannique n’a pas pris position sur le sujet. Rishi Sunak, le premier ministre, condamne la situation «de plus en plus intolérable» à Gaza mais assure suivre «les règles et les procédures» pour les exportations d’armes, tout en refusant de publier les conseils légaux que son administration a reçus.
Le Royaume-Uni n’est pas un exportateur majeur d’armes à Israël. Selon l’association Campaign against Arms Trade, qui suit les différentes licences d’exportation, les ventes s’élèvent à 489 millions de livres (560 millions de francs) depuis 2015. Mais certaines pièces détachées sont essentielles, dont 15% de celles constituant les avions de chasse F-35, actuellement utilisés à Gaza.
Aux Pays-Bas, la justice a déjà ordonné la suspension des exportations d’armes. Le 11 février, suite à une plainte de trois associations, une cour d’appel a bloqué la vente de pièces détachées du F-35, toujours sur la même base légale: «Les avions de chasse pourraient être utilisés dans la violation du droit humanitaire international, Israël ne prend pas suffisamment en compte les conséquences de ses attaques sur la population civile.»
Quant à la Suisse, le Secrétariat d’Etat à l’économie rappelle qu’avant même la guerre à Gaza, «en raison de la situation d’Israël dans une région extrêmement instable, la Suisse n’autorisait en principe aucune exportation définitive de matériel de guerre vers Israël». «La situation actuelle au ProcheOrient» n’a ainsi rien changé. ■