David Chanteranne : « Le complot ne réussit que s’il y a une forme de légitimité. »
Quels enseignements peut-on tirer de l’étude historique des complots et conspirations, et qu’est-ce qui permet à un complot de réussir ?
David Chanteranne, historien, journaliste et écrivain, auteur de Chronique des territoires (éd. Passés Composés), a répondu à nos questions. Quelle est la différence entre complot, conspiration et rumeur ?
Si l’on se reporte au Dictionnaire universel, de Furetière, ce dernier définit en 1690 le complot comme une réunion pour un objectif à atteindre. La conjuration a une dimension uniquement politique, et l’étymologie même implique une prestation de serment (con-jure), ensemble. En revanche, la rumeur peut aller dans une tout autre direction. On pense aux célèbres vers de Victor Hugo, qui en sont certainement la plus belle définition : « Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites. / Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes. / Tout, la haine et le deuil ! – Et ne m’objectez pas / Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas... »
La rumeur se diffuse par son caractère spectaculaire, secret et interdit, et ces trois aspects-là l’alimentent. On cherche à comprendre ce qui est caché, les moeurs des uns et des autres, les secrets d’État. Marie-Antoinette a pu être calomniée car la rumeur était plus forte que la réalité même. La rumeur ne peut être dissociée de l’apparition de l’opinion publique à la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle.
C’est-à-dire ?
Cette apparition survient à la faveur de trois facteurs : le progrès de l’alphabétisation, celui de la diffusion des journaux et la multiplication des libelles, ces textes interdits qu’on se passe sous le manteau et qui servent de contre-feux aux journaux. Ne sous-estimons pas non plus le rôle des colporteurs qui vendent leurs ouvrages à la criée et lisent à la veillée : auparavant ne prenaient la parole publiquement que le prêtre et l’officier. Les colporteurs diffusent les idées nouvelles, ils donnent une autre réalité à voir.
Qu’est-ce qu’un complot réussi ?
Selon Furetière toujours, le complot est une espèce de conspiration, un dessein de nuire à quelqu’un, concerté secrètement entre quelques personnes. Ce n’est pas une décision politique. Le complot ne réussit que s’il y a une forme de légitimité, la conjuration ne fonctionne que s’il y a un terreau favorable. On a besoin de complices pour réaliser le complot, qui est moralement légitime ou auquel l’opinion est favorable. C’est l’assassinat du tsar Paul Ier, qui est fort opportun, ou celui du duc de Guise. Dans ce dernier cas, le roi décide de le faire tuer parce qu’il a la légitimité politique et l’opinion du peuple de son côté. Il reprend la main pour mettre un terme aux guerres de Religion qui ensanglantent le royaume.
Qui mène un complot ?
Des personnes antisystème, des personnalités qui veulent montrer que leur puissance est légitime et qu’elle est assurée. L’attentat de la rue Saint-Nicaise contre Bonaparte ou l’assassinat de Raspoutine sont des complots contre l’État. A contrario, Louis Napoléon Bonaparte, président en exercice qui ne peut se représenter, mène un coup d’État en 1851 et proclame le Second Empire un an plus tard.
L’information est une clé…
Celui qui a l’information a le pouvoir : il manipule, maîtrise, déjoue les rumeurs avant leur diffusion. Il mène la danse dans le secret : il a le contrôle sur qui détient l’information et sur sa diffusion. Louis XIV et Louis XV l’ont compris. Et avec l’information et le secret, vient aussi l’objectif que l’on a, et c’est la raison d’État. Au-delà des opinions des uns et des autres, le seul objectif c’est de maintenir à la tête de l’État un pouvoir fort, et non discuté. Le roi est dans un coup d’État permanent pour maintenir sous l’éteignoir le Parlement.
Et comment le pouvoir lui échappe finalement ?
Lorsque les structures de l’État ne tiennent plus aussi bien le pays ni les contrefeux, que la répression ne s’exerce pas. Quand de l’espace est laissé libre, le complot et la rumeur peuvent s’épanouir. Et dès lors qu’il y a des complices au sein de l’appareil d’État voire à la tête de l’État, le complot a des chances de réussir.
Et qu’est-ce qui donne ses chances à la Révolution ?
Le pouvoir des parlements d’abord, devenu plus important, car la contestation vient des provinces. L’opinion publique, ensuite, alimentée par la puissance de l’information, qui circule plus vite et se révèle plus difficile à contrôler. Cela donne naissance à des prises de conscience impossibles aux XVe et XVIe siècles. Et puis il y a une génération d’avocats, de penseurs, de philosophes, de membres de cercles littéraires, qui arrive à maturité. La philosophie des Lumières se diffuse, le lectorat est attentif et veut appliquer ces idées. Louis XVI était un des premiers à les mettre en oeuvre en soutenant financièrement, militairement et philosophiquement les insurgés américains. C’est paradoxal de voir un roi de droit divin aider des colonies à se libérer du joug d’un autre souverain. C’est une forme de conjuration diplomatique qui trouve son application militairement.