Secrets d'Histoire

Camille Pascal : « C’est un complot politique de la reine contre Rohan »

- PAR COLINE BOUVART

Camille Pascal est écrivain, haut fonctionna­ire, Grand prix du roman l’Académie française 2018 et auteur de La Reine du labyrinthe (éd. Robert Laffont, sortie le 29 août 2024), sur l’affaire du Collier.

L’affaire du Collier est en premier lieu une histoire de femmes, dites-vous...

C’est un face-à-face entre une reine au faîte de sa gloire et de sa beauté en 1785-1786 et dont la position politique et à la Cour est renforcée pour avoir enfin donné un héritier au roi, et une femme qui a tout perdu. Jeanne de La Motte descend d’un bâtard d’Henri II, elle est de sang royal, mais cette lignée est ruinée. Elle n’a plus rien, et n’a qu’une obsession : tout récupérer, rang, honneur, richesse. Elle est une sorte de double maléfique de MarieAntoi­nette, elle essaie de l’imiter, se fait passer pour une de ses amies intimes. Elle vampirise son image.

C’est une affaire à plusieurs niveaux ?

Plusieurs choses s’emboîtent. Il y a d’abord cette escroqueri­e fabuleuse. Il y a ensuite un complot, non pas contre la reine, mais un complot politique de la reine contre Rohan. Mon livre dévoile, sur ce point précis, des éléments que j’ai découverts lors de mes recherches. Marie-Antoinette a vraisembla­blement eu vent de l’escroqueri­e bien plus tôt qu’on ne le croit, a peutêtre feint d’être indignée, et utilisé l’affaire pour nuire à Rohan et se venger de son comporteme­nt. À un autre niveau, l’affaire est aussi exploitée par plusieurs clans de la Cour pour régler leurs comptes au sein du Conseil du roi. C’est une guerre intestine et probableme­nt une guerre intime : Louis XVI se méfiait beaucoup de MarieAntoi­nette et de l’influence de son entourage. J’ai désormais la preuve qu’il faisait espionner la reine et son cercle. Enfin, dans un dernier temps, l’affaire d’État, rendue publique, devient une affaire politique. Le clan de la reine s’arrange pour que l’arrestatio­n et la disgrâce, de Rohan fassent un éclat irréparabl­e. Et insiste pour qu’il soit jugé et l’honneur de la reine lavé. Mais c’est son image qui va être ruinée : le cardinal est acclamé lorsqu’il est innocenté.

Les conséquenc­es pour la reine sont dévastatri­ces…

Oui, avec Breteuil, elle a laissé le cardinal de Rohan marcher vers le précipice afin d’assouvir son désir de vengeance contre son vieil ennemi et contre une partie de la grande noblesse de cour qui lui est hostile depuis plusieurs années et qui était probableme­nt à l’origine de nombreux pamphlets. La publicité de l’affaire va se retourner contre elle et achever de détruire son image.

Pascal, historien. Elle sait se couler dans le désir des autres, et s’adapter aux circonstan­ces en mentant avec un aplomb incroyable. Elle fait évoluer son plan d’escroqueri­e selon les événements, et comprend d’autant mieux la psychologi­e de Rohan qu’elle est elle-même une réprouvée. Elle comprend son désir de revanche, sa soif de reconnaiss­ance, son ambition. »

En attendant, Rohan demande des garanties, et veut rencontrer la reine pour mesurer son retour en grâce. Jeanne de La Motte organise une entrevue dans un bosquet du château de Versailles en pleine nuit. Évidemment il ne s’agit pas de Marie-Antoinette, mais d’une prostituée à laquelle Jeanne de La Motte a demandé de jouer la comédie. Quelques mots soufflés dans la pénombre, des complices qui mettent rapidement fin à cette entrevue très fugace en prétendant que des gens s’approchent, et voici le cardinal bien ferré, ravi d’être en faveur. Jeanne de La Motte parvient, avec la complicité d’un autre escroc, le comte de Cagliostro, un prétendu mage qui lui aussi manipule Rohan, d’acheter la fameuse parure de diamants. Pour cela, Rohan servira de prête-nom à la reine. Rohan s’entend avec les joailliers pour payer en plusieurs fois le collier, se le fait remettre début février 1785, et Jeanne s’en empare. Avec l’aide de ses complices, elle écoule les pierres démontées du bijou, à Londres notamment, mais les escrocs sont obligés de les céder bien en dessous de leur valeur, leur exceptionn­elle qualité les rendant suspectes. Le prix du recel, dira-t-on.

Scandale à la cour !

Les joailliers, quant à eux, commencent à s’impatiente­r et réclament le versement des traites. L’un d’eux va même trouver Madame Campan, première femme de chambre de la reine, pour lui en parler. Elle est surprise et en parle à la reine. Cette dernière ne fait rien pour le moment, mais l’affaire commence à s’ébruiter. Le roi en est informé mi-août 1785, et le 15 août, il convoque le cardinal de Rohan, qui s’apprêtait à célébrer la messe à la chapelle du château de Versailles. Dans la pièce, il découvre Louis XVI, Marie-Antoinette, le baron de Breteuil, secrétaire d’État. Sommé de s’expliquer, Rohan comprend alors qu’on s’est joué de lui. Il est ensuite arrêté en pleine galerie des Glaces devant une Cour médusée, choquée.

Une reine détestée

Alors qu’elle pense rétablir son honneur, Marie-Antoinette est surprise de la froideur des réactions des courtisans. Elle insiste auprès du roi, forte de son innocence, pour être blanchie publiqueme­nt. L’affaire est donc jugée non pas en huis clos par le roi, mais par le Parlement de Paris. Rohan est déclaré innocent le 31 mai 1786, concernant l’escroqueri­e, mais également le crime de lèsemajest­é. La comtesse de La Motte est condamnée à la prison, son mari aux galères. Et si Rohan est innocent, pour l’opinion publique, c’est que la reine est coupable… La voilà totalement discrédité­e.

 ?? ??
 ?? ?? Le Cardinal de Rohan (1734-1803), de PhilibertL­ouis Debucourt (1755-1832), 1783. Mêlé à l’affaire, il est finalement acquitté mais déchu de son poste de grand aumônier de France et exilé jusqu’en 1788.
Le Cardinal de Rohan (1734-1803), de PhilibertL­ouis Debucourt (1755-1832), 1783. Mêlé à l’affaire, il est finalement acquitté mais déchu de son poste de grand aumônier de France et exilé jusqu’en 1788.

Newspapers in French

Newspapers from France