Alexandre Maral : « Louis XIV a mené les choses de manière très habile et très politique. »
Alexandre Maral est historien, conservateur général au château de Versailles, et auteur de nombreux ouvrages sur Louis XIV et la Cour.
L’affaire des poisons a-t-elle créé une psychose à la Cour ?
Je nuancerais cela, car le roi a fait en sorte que les débats de la chambre ardente filtrent peu. Seuls le souverain, La Reynie et les juges avaient une vision complète des faits. La mort brutale de Mademoiselle de Fontanges, en 1681, relance ces spéculations. À la Cour, on ne craint pas vraiment d’être empoisonné ou dénoncé, même si le sort de la comtesse de Soissons, disgraciée, de la duchesse de Bouillon, et du maréchal de Soissons, écarté, ont marqué les esprits.
Pourquoi le roi décide-t-il d’agir ?
Il ne peut tolérer de menace contre son propre pouvoir. Dans la seconde affaire, il est question de messes noires, de sacrifices d’enfants, de sacrilèges, d’avortements, des faits très sévèrement réprimés dans la France d’Ancien Régime car on touche à la religion. Louis XIV ne saurait tolérer le moindre désordre ni l’hérésie. Il découvre avec horreur que cela le touche de très près. Or cette affaire coïncide avec son retour à la religion : à partir de 1680, il se remet à fréquenter les sacrements, il met un terme à ses relations extraconjugales, pensant que ses propres désordres amoureux ont pu jouer un rôle dans le déclenchement de l’affaire. Cet homme qui se considérait comme un prédateur de belles femmes découvre qu’il était luimême l’objet de prédation.
Et il étouffe l’affaire…
Il organise le silence, et si nous n’avions pas retrouvé les notes de La Reynie, nous en aurions probablement tout ignoré. J’aime comparer cette affaire à celle du collier qui éclate en 1785. Le roi et la reine, s’estimant offensés, exigent un jugement spectaculaire public pour laver leur honneur, et cela se retourne contre eux. Louis XIV, lui, évite le scandale. Madame de Montespan est disgraciée petit à petit : en 1684, elle doit changer d’appartement, puis elle quitte la Cour sans fracas. Louis XIV a mené les choses de manière très habile et très politique. Contrairement à MarieAntoinette et Louis XVI qui s’estimaient sincèrement innocents, Louis XIV savait probablement qu’il était en partie responsable des événements. Enfin on peut observer que Louis XVI poursuit assez violemment le cardinal de Rohan, qui était pourtant relativement innocent. Louis XIV n’exercera pas cette violence aveugle, il agit de manière plus instruite, plus éclairée.