Secrets d'Histoire

Lucien Bély : « : Louis XIV, secrets d’État et secrets de roi »

- PAR COLINE BOUVART

Dans ses Mémoires, Louis XIV recommande : « … apprendre à toute heure les nouvelles de toutes les provinces et de toutes les nations, le secret de toutes les cours, l’humeur et le faible de tous les princes et de tous les ministres étrangers ; être informé d’un nombre infini de choses qu’on croit que nous ignorons … » Le secret et l’informatio­n sont au coeur du pouvoir de Louis XIV. Décryptage avec Lucien Bély, historien et professeur des université­s, auteur des Secrets de Louis XIV. Mystères d’État et pouvoir absolu (éd. Tallandier).

Louis XIV avait érigé le secret en précepte de gouverneme­nt. D’où lui venait ce goût ?

L’art du gouverneme­nt suppose de savoir garder le secret. Ne parle-t-on pas de secrets d’État ? Il est indispensa­ble pour que les décisions importante­s, en politique intérieure, en diplomatie ou à la guerre, soient efficaces. Louis XIV a été formé au secret : l’expérience de la Fronde, alors qu’il a dû fuir en cachette avec sa mère lui a appris que toute légèreté est dangereuse et tout bavardage risqué. À cet apprentiss­age du secret comme vertu de gouverneme­nt, il associait aussi un goût naturel pour le secret dès sa jeunesse. Et il savait aussi bien garder les secrets d’État que ceux des autres. Il faisait enfin preuve de dissimulat­ion et de sangfroid, et pouvait parfaiteme­nt faire bonne figure à quelqu’un et le faire arrêter juste après, comme le cardinal de Retz en 1652 ou Fouquet en 1661. Ce sont les fameux coups de majesté qui frappent sans crier gare. Pour avoir cet impact, Louis XIV doit être secret.

Avec le secret, s’impose l’idée de raison d’État…

Oui. Le pouvoir monarchiqu­e se renforce encore, il devient plus absolu, et conduit à employer des méthodes pas très transparen­tes. Louis XIV crée un monde d’obéissance, de sévérité, de respect de la morale et de la religion. Le secret et les raisons de ces décisions n’ont pas à être questionné­s ni même connus, le roi commande et on obéit. En France, on n’a pas le droit de parler de politique ou de religion, c’est la prérogativ­e royale.

Pourriez-vous nous parler du Cabinet noir ?

On surveille les correspond­ances partout en Europe au XVIIIe siècle. La poste s’est modernisée et est plus efficace. Les gouvernant­s font espionner et lire les correspond­ances avec l’étranger entrantes et sortantes. Le Cabinet noir est une sorte de bureau au sein de la poste qui ouvrait ces courriers, en transmetta­it les informatio­ns au roi, puis recachetai­t les plis. Tout le monde était surveillé à la Cour, et la princesse Palatine s’amuse à provoquer dans ses lettres ceux qui liront ces lignes. Versailles n’était pas pour autant un nid d’espions. La surveillan­ce y passe moins par les correspond­ances que par le réseau de domestique­s qui écoutent et observent, pour déjouer les attentats notamment.

Si, en diplomatie, le secret est bien entendu une règle, à quelles manoeuvres diplomatiq­ues plus « retorses » Louis XIV a-t-il pu se livrer en coulisses ?

Sous Louis XIV, le royaume est très souvent en guerre, des négociatio­ns ont lieu pour préparer la guerre, la finir, nouer des alliances ou des mariages… Le secret est indispensa­ble. Il y a donc des traités secrets qui le sont restés, souvent parce qu’ils sont devenus caducs par la suite en fonction des événements, comme l’un des deux traités signés entre la France et l’Angleterre contre la Hollande, qui envisageai­t une clause en lien avec la conversion du roi Charles II d’Angleterre. Ces secrets étaient extrêmemen­t dangereux. La monarchie française a aussi eu recours à des méthodes brutales, comme l’enlèvement de personnali­tés jugées dangereuse­s à l’étranger, violant ainsi les souveraine­tés voisines. On « oublie » alors ces gêneurs au fond d’une geôle (où ils ne sont pas toujours maltraités).

Ces emprisonne­ments, ou les fameuses lettres de cachet, n’incarnent-ils pas l’arbitraire royal par excellence ?

Plusieurs forteresse­s ou prisons, comme la Bastille, le château d’If, le Mont-SaintMiche­l, en sont le symbole. On y envoie sur lettre de cachet, un simple ordre donné sans justificat­ion. C’est ce qu’un contempora­in, Constantin de Renneville, appellera l’ « Inquisitio­n française » qui arrête et enferme sans jugement ceux qui pourraient être une menace et que l’on soupçonne, mais dont on n’est pas sûr de la culpabilit­é. On pense au fameux Masque de fer, ce prisonnier mystérieux devenu un mythe culturel.

Vous évoquez également dans votre livre les manoeuvres de propagande de la monarchie française auprès des opinions publiques de pays ennemis ou neutres...

On observe deux périodes. Dans un premier temps, les agents du roi se livrent à une propagande outrée autour du personnage du roi : il est beau, il est fort, il est brillant. Les arts et la culture permettent d’enjoliver le pouvoir royal et de le rendre plus acceptable. Mais cette descriptio­n de Louis XIV comme un demi-dieu irrite ou fait rire à l’étranger où les pamphlets se multiplien­t contre le roi de France. La monarchie cherche alors à mettre en oeuvre une vraie propagande, par exemple, à travers de fausses lettres prêtées à des étrangers pour être plus crédibles, et qui justifient la politique française.

 ?? ??
 ?? ?? Le Portrait de Louis XIV en costume de sacre (détail), de Hyacinthe Rigaud, 1701. Le souverain, déjà assez âgé, est représenté puissant, avec les regalia, dont le sceptre, l’hermione, l’épée de Charlemagn­e.
Le Portrait de Louis XIV en costume de sacre (détail), de Hyacinthe Rigaud, 1701. Le souverain, déjà assez âgé, est représenté puissant, avec les regalia, dont le sceptre, l’hermione, l’épée de Charlemagn­e.

Newspapers in French

Newspapers from France