DE RÉVOLTES EN VENGEANCES La guerre fait rage entre père et fils
Henri II n’avait pas anticipé les effets désastreux du partage de ses territoires et ses héritiers tenteront de s’entredévorer avec une férocité et une haine implacables. Le vieux lion parvient encore à maîtriser leur faim, mais pour combien de temps encore ?
En 1169, Henri II avait procédé au partage de ses principautés entre ses fils, conformément à la tradition angevine. Henri le Jeune avait alors été couronné roi d’Angleterre à Westminster l’année suivante par l’évêque d’York, après avoir été adoubé par son père quelque temps plus tôt, et couronné une seconde fois en 1172 au même moment que sa femme Marguerite de France. Et Richard, également adoubé en 1170 par son père, est intronisé duc d’Aquitaine deux ans plus tard. Le malentendu est profond : Henri II ne l’a pas mesuré, mais il y a désormais deux rois d’Angleterre et deux ducs d’Aquitaine. Il ne refera d’ailleurs pas la même erreur et ne laissera pas Richard être couronné roi d’Angleterre de son vivant. Et si Henri II n’entend pas céder une once de pouvoir à ses fils, ces derniers, forts de leur entrée dans l’âge adulte en ayant été faits chevaliers, entendent bien exercer leur autorité sur les territoires qu’ils ont reçus. Et c’est alors qu’Henri II est en pleine tourmente après l’affaire Thomas Becket (lire aussi encadré p. 27) qu’Aliénor et ses fils se révoltent contre lui.
Une première révolte
Henri II, au faîte de sa puissance malgré la condamnation générale qui a suivi l’assassinat de Thomas Becket, oeuvre à étendre encore son influence en fiançant ses filles au roi de Castille, au roi de Sicile ou Jean à la fille du comte de Maurienne. Ces succès diplomatiques irritent et menacent directement le roi de France, d’autant qu’en 1173, Raymond V de Toulouse décide de changer d’allégeance et prête hommage à Henri II. Le comte de Maurienne presse Henri II d’accorder quelques terres à son futur gendre, le prince Jean, grand oublié du partage de 1169. Le roi propose alors de lui céder trois châteaux, Loudun, Mirebeau et Chinon, provoquant la colère de son frère aîné Henri le Jeune: ce dernier estime en être spolié puisqu’ils étaient compris dans sa part d’héritage de 1169. Il n’entend pas les laisser à son frère! Henri II ne se méfie pas vraiment. Il n’a pas pris la mesure du désir d’autonomie et l’impatience de régner de son fils aîné. Il repart néanmoins avec lui pour la Normandie, en pensant le garder à l’oeil. Henri lui fausse compagnie et galope vers Paris, auprès de son beau-père, le roi Louis VII. Aliénor envoie alors ses deux autres fils, Richard et Geoffroy, le rejoindre. Henri le Jeune argue que le roi de France soutient ses prétentions, et Henri II comprend alors que Louis VII a oeuvré en coulisses pour soutenir la rébellion de ses fils contre lui. Le plan a même été minutieusement préparé. Aliénor et ses fils, impatients de disposer pleinement de leur héritage, reçoivent le soutien d’une partie de l’aristocratie de leurs territoires respectifs. Mais ses fils, s’ils piaffent d’impatience, n’ont pas encore l’envergure de
Le roi propose alors de lui céder trois châteaux, Loudun, Mirebeau et Chinon, provoquant la colère de son frère aîné Henri le Jeune.
leur père. Henri II réplique de manière implacable. Il règle tout d’abord le problème Aliénor, qui a encouragé la révolte : il fait arrêter et emprisonner la reine en novembre 1173, d’abord à Chinon, puis à Winchester et à Salisbury dont elle ne ressortira que seize ans plus tard !
Henri II triomphe
Pourtant soutenus par le roi de France et le roi d’Écosse,
divers comtes et importants barons français et anglais, les trois frères Plantagenêt se heurtent à beaucoup plus stratège et puissant qu’eux. Richard, adoubé par le roi de France en 1173, participe à sa première bataille. La rapidité d’action, l’efficacité d’Henri II au combat infligent plusieurs revers au camp opposé, qui se voit contraint de négocier. Il faut reconnaître qu’Henri le Jeune et Geoffroy n’ont guère d’étoffe et de maturité, à la différence de Richard qui montre déjà de nombreuses qualités. L’emprisonnement de
sa mère a d’ailleurs encore renforcé son ressentiment contre son père. Mais fin 1173, Henri II a repris le contrôle de la situation et mis au pas ses fils. Le roi de France, quant à lui, demande la paix en septembre 1174. Henri II triomphe: le vieux lion a encore toutes ses griffes. Un seul de ses fils refuse encore de rentrer dans le rang : Richard. Replié à Saintes, le jeune rebelle est cependant surpris par un mouvement plus rapide qu’attendu de son père qui l’oblige à s’enfuir avec ses derniers soutiens. La reddition de ses frères et la signature de la paix entre eux, son père et le roi de France le forcent à admettre que la partie est perdue. Il vient donc se jeter aux pieds de son père, en pleurant dit-on, pour implorer son pardon. Il a cependant réussi à faire son entrée sur la scène politique. « Une des raisons plus profondes de ces révoltes est la volonté de s’affirmer comme héritier lorsque l’héritage tarde à venir, observe l’historien Martin Aurell, y compris par la violence. C’est une façon de démontrer sa valeur, et on pourrait même observer que la révolte des fils contre les pères et la rivalité entre frères sont une constante dans la dynastie angevine. Il faut s’affirmer pour recevoir un jour l’héritage paternel. »
Richard contre ses anciens soutiens
Henri II, pourtant triomphant, accorde de généreuses conditions de reddition à ses fils.
Il force Henri à se défaire de quelques châteaux au profit de son frère Jean, mais lui en accorde d’autres en échange. Il distribue essentiellement des revenus à ses fils, mais pas de pouvoir. Tous promettent de ne pas se venger à l’avenir: c’est le grand pardon, en tout cas en famille. Pour les seigneurs qui ont soutenu la révolte, l’affaire va être plus douloureuse. « Le roi ordonne la destruction de tous les châteaux des seigneurs ayant participé à la révolte, écrit Georges Minois (Richard Coeur de Lion, éd. Perrin). […] Le château est beaucoup plus qu’un bâtiment, c’est un symbole d’autorité, le siège d’un pouvoir, le centre d’une administration domaniale, en plus d’une forteresse redoutable. » Henri II fera même mander des juges pour vérifier la bonne exécution de cet ordre. En plus de désarmer ses adversaires, cette mesure laisse pour longtemps dans le paysage un avertissement pour ceux qui seraient tentés de s’opposer à lui. En Aquitaine, il charge son fils Richard d’exécuter ses directives, de rétablir l’ordre et de châtier les rebelles. Le duc d’Aquitaine se voit donc contraint de mener la guerre contre ses anciens soutiens, tout comme Geoffroy en Bretagne. Richard s’exécute, sans aucun d’état d’âme. Il défend scrupuleusement et fidèlement les intérêts de son père lorsqu’une nouvelle révolte de
barons éclate en Aquitaine et écrase ses adversaires. C’est une campagne éclair et Richard vient de prouver qu’il n’a rien à envier aux qualités militaires de Henri II. C’est un fin stratège et un combattant redoutable et implacable.
Une guerre fratricide Henri le Jeune, personnage assez falot jaloux des succès de son frère Richard,
lui cherche à plusieurs reprises querelle. Pour Noël 1182, Henri II rassemble toute sa famille à Caen dans une grande démonstration d’union du clan Plantagenêt. Le roi demande à Richard et Geoffroy de prêter hommage à leur frère aîné. Le second le fait pour la Bretagne, vassale de la Normandie, mais Richard refuse. Selon lui, l’Aquitaine est vassale du roi de France, et non d’Angleterre. Il serait prêt à céder si Henri le Jeune lui pro
mettait que l’Aquitaine lui appartiendrait pour toujours. Et là, c’est Henri le Jeune qui refuse, renforçant le soupçon de Richard. Son frère n’a-t-il pas le projet de s’emparer de son duché et d’être le seul maître de l’empire Plantagenêt, comme leur père Henri II ? En réalité, Henri le Jeune manoeuvre depuis longtemps en coulisses pour tenter de s’attacher la loyauté de seigneurs
aquitains. Malgré les tentatives de médiation d’Henri II, la guerre éclate entre ses fils, Henri et Geoffroy contre Richard. Ce dernier reçoit le soutien de son père, mais la révolte de Henri le Jeune en Limousin finit lamentablement et il meurt de dysenterie le 11 juin 1183. La famille se réconcilie, pour l’instant, mais la guerre de succession a bel et bien commencé entre frères.