« La forêt vierge est le résultat d’un travail de transformation par les populations »
PHILIPPE DESCOLA ANTHROPOLOGUE, PROFESSEUR ÉMÉRITE AU COLLÈGE DE FRANCE
Quelle était votre motivation pour lancer un projet archéologique français dans la région ? Claude Lévi-Strauss a écrit dans Les Mythologiques que l’Amazonie est un
Moyen Âge dont on ne connaît pas la Rome. Et pour connaître cette Rome — comme il n’y a pas de documents écrits —, l’archéologie est la seule façon de procéder. Le projet a donc démarré lorsque j’étais membre du conseil scientifique de l’Institut français d’études andines. Je défendais depuis longtemps l’idée qu’il fallait développer des recherches archéologiques sur l’Amazonie car il me semble que cette discipline est la nouvelle frontière de ce vaste ensemble.
Vous avez travaillé longtemps dans la région et vous affirmez que « la nature n’existe pas ». Pourquoi ?
La forêt est en grande partie le résultat d’un travail de transformation par les populations qui l’occupent depuis plusieurs millénaires. Ils suppriment, par exemple, la concurrence pour bénéficier des espèces qui leur sont utiles. Et avec cette étude, en effet, on a retrouvé sous la forêt dite vierge les traces d’un système d’occupation très ancien. Mais ce qui posait énormément de questions est le fait de savoir si ce sont des Amazoniens ou des populations andines qui se sont installés sur ce site.
Pourquoi l’urbanisme de ce site est-il si particulier ? Ce qui est très frappant, ce sont ces chemins rectilignes qui ne correspondent pas du tout à la façon de se déplacer dans un milieu tropical, où l’on suit les crêtes et les chemins des fonds de vallée. Ce tracé rappelle le système de ceque, à Cuzco au Pérou : une organisation sociospatiale bien particulière de cette région qui permettait de relier Cuzco au reste de l’Empire inca.
Est-ce que les populations amazoniennes actuelles descendent de cette culture de l’Upano ?
Non. Il n’y a pas de continuité entre les peuples Jivaro qui sont arrivés sur la forêt équatorienne. On ne peut donc pas utiliser ce que l’on sait sur les populations actuelles pour interpréter les vestiges archéologiques. Mais il y a encore beaucoup de travaux à faire avant de connaître l’organisation sociale de cette ville antique.