Les somnifères gagnent en efficacité
Disponible sur prescription médicale, le Quviviq est un médicament d’un nouveau genre. Contrairement aux benzodiazépines et autres hypnotiques visant à soulager la détresse des insomniaques, ce « coupeur d’éveil » respecte les phases de sommeil profond et réduit les risques d’accoutumance.
« Cela faisait près de quarante ans que le traitement pharmacologique de l’insomnie n’avait pas connu pareille innovation ! » C’est avec un enthousiasme non dissimulé que la psychiatre Sylvie Royant-Parola, présidente d’honneur du réseau de santé Morphée, spécialisé dans les troubles du sommeil, accueille le Quviviq, un nouveau genre de somnifère disponible depuis le mois de mars en France sur prescription médicale. Il s’agit du tout premier d’une nouvelle classe médicamenteuse à être autorisé en Europe, notamment en France après un avis favorable de la Haute Autorité de santé « pour le traitement de l’insomnie caractérisée par des symptômes présents depuis au moins trois mois et avec un impact significatif sur le fonctionnement pendant la journée ». Contrairement à tous les hypnotiques actuels, le Quviviq « ne vise pas à stimuler le sommeil pour endormir les gens, explique Yves Dauvilliers, responsable de l’activité clinique et de recherche du laboratoire du sommeil au CHU de Montpellier. Son mécanisme d’action consiste plutôt à diminuer l’état d’éveil, afin que le sommeil s’installe tout en réduisant les éveils nocturnes. » Remboursé à 30 % par l’Assurance-maladie, il rejoint la longue liste de substances visant à soulager la détresse des insomniaques. Soit une vingtaine de médicaments dits hypnotiques délivrés uniquement sur ordonnance, tels Stilnox et Imovane, stars des somnifères vendues chaque année par dizaines de millions de boîtes. S’y ajoute un éventail de remèdes naturels, d’une efficacité souvent discutable, comme les oligoéléments ou la phytothérapie (lire l’encadré p. 58). Selon une étude publiée le 15 mars à l’initiative de la société d’équipements médicaux ResMed, trois Français sur dix consomment régulièrement l’un de ces produits pour les aider à dormir !
Les plus anciens médicaments prescrits à grande échelle pour induire le sommeil sont les barbituriques. Synthétisé en 1903 par l’Allemand et prix Nobel de chimie Emil Fischer, le premier spécimen a été le barbital (ou acide diéthylbarbiturique). Il sera suivi par d’autres molécules du même type comme le phénobarbital et le butobarbital, ou encore le thiopental, exploité pour sa part comme anesthésiant. Tous ces composés réduisent l’activité du système nerveux central. Ils miment et amplifient, en particulier, l’action du neurotransmetteur Gaba (acide gamma-aminobutyrique) qui se fixe sur certains neurones du cerveau pour les empêcher de transmettre des signaux électriques. « Or, une partie de ces neurones sont impliqués dans les circuits cérébraux du sommeil », indique Marc Rey, neurologue et président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV ). En fonction du dosage et de leur durée d’action, les barbituriques vont donc réduire la transmission des informations sensorielles, diminuer la conscience et permettre finalement de nous endormir.
Des molécules qui finissent par perdre leur e et
Mais les barbituriques ont d’autres effets. Ils inhibent l’action du glutamate, neurotransmetteur associé à l’apprentissage, et se fixent sur des récepteurs Gaba qui n’interviennent pas dans les systèmes du sommeil. Agissant aussi sur le foie, ils rendent inefficaces des médicaments comme les contraceptifs oraux ou les anticoagulants. « La dose dangereuse est par ailleurs très proche de la dose thérapeutique, rappelle Sylvie Royant-Parola. Une personne qui ingère trois comprimés au lieu d’un
minutes de sommeil supplémentaires environ sont obtenues après trois mois de traitement au Quviviq (The Lancet, 2022).
encourt une insuffisance respiratoire, un coma, et peut même en mourir. » Autant de raisons qui ont conduit à supprimer peu à peu les barbituriques, sauf pour contrôler les convulsions dans certains cas d’épilepsie.
Pour traiter l’insomnie, ils sont remplacés dès les années 1960 par une nouvelle famille de molécules : les benzodiazépines. Elles renforcent elles aussi le rôle du Gaba en réduisant l’activité cérébrale. Mais d’une façon beaucoup plus circonscrite, « sans noyer de larges portions du cerveau », précise Marc Rey. Les benzodiazépines vont cibler spécifiquement les récepteurs Gaba du sommeil, au niveau du tronc cérébral en particulier, et ceux associés à la tension anxieuse. Et deviennent ainsi, très rapidement, le traitement de référence à la fois contre l’insomnie — au moyen du nitrazépam (Mogadon) ou du loprazolam (Havlane) par exemple — et pour calmer l’anxiété — avec le diazépam (Valium), le bromazépam (Lexomyl), l’alprazolam (Xanax), etc.
Dans les années 1980, des molécules possédant une structure chimique différente, mais un mode d’action très similaire aux benzodiazépines, arrivent à leur tour sur le marché. Il s’agit notamment du zolpidem (Stilnox) et de la zopiclone (Imovane), appelés aussi « Z-médicaments ». Ces composés possèdent plusieurs avantages. Encore plus sélectifs, ils se fixent sur certaines sous-unités des récepteurs Gaba, ce qui permet de discriminer plus finement les actions sédatives non anxiolytiques. Ils sont par ailleurs mieux tolérés et éliminés plus rapidement que les benzodiazépines, réduisant les effets résiduels le matin. Le zolpidem agissant très vite (la concentration maximale dans le sang peut être atteinte en trente minutes), mais surtout pendant quelques heures (sa « demivie » est d’environ deux heures et trente minutes), il est davantage recommandé pour les insomnies d’endormissement que pour les réveils précoces.
Dans de nombreux pays du monde, les prescriptions de benzodiazépines et Z-médicaments s’envolent. « Les patients étaient satisfaits et les médecins convaincus qu’ils disposaient enfin de produits sûrs et efficaces pour les faire dormir à tous les coups », relève Sylvie Royant-Parola. Un changement d’at
titude s’opère pourtant au début des années 2000. De plus en plus d’études pointent alors les répercussions d’une consommation trop large et excessive (lire l’encadré p. 59), liées notamment à l’accoutumance. « Si ces médicaments fonctionnent d’abord à merveille, ils perdent au bout de quelques semaines leur efficacité thérapeutique car l’organisme s’y habitue », signale la psychiatre. Des doses de plus en plus importantes deviennent alors nécessaires… jusqu’à ne plus fonctionner du tout ! Elles ne font, au contraire, qu’aggraver les effets secondaires et indésirables : fatigue diurne, état confusionnel, somnambulisme, difficultés d’attention et de mémorisation, troubles de l’équilibre pouvant entraîner des chutes ou accidents de la route, etc.
Or, il est souvent très difficile de s’en départir, surtout après des prises prolongées. Car le comprimé du soir est devenu un rituel : un « doudou » qui rassure, jugé même indispensable au moment d’affronter la nuit. La dépendance est également physiologique. « Un arrêt brutal provoque des rebonds d’insomnie parfois pires que les symptômes d’origine, rapporte Sylvie Royant-Parola. Des plans de sevrage sur plusieurs semaines ou plusieurs mois seront ainsi nécessaires pour désaccoutumer les récepteurs neuronaux. » Paradoxalement, ces puissants producteurs de sommeil peuvent donc entretenir et même aggraver l’insomnie ! D’où l’intérêt suscité par le Quviviq et cette nouvelle classe médicamenteuse. Les recherches ont débuté à la fin du siècle dernier, peu après la découverte d’un neurotransmetteur dénommé « orexine » (parfois aussi hypocrétine).
Fabriqué par une population relativement restreinte de neurones de l’hypothalamus, il apparaît alors comme le principal stimulateur d’éveil dans le cerveau. Sa production est minimale au cours du sommeil, maximale pendant l’éveil. Et en administrant de l’orexine, on favorise la transition du sommeil vers l’éveil ou l’on prolonge celui-ci. « Considérant que l’insomnie est une sorte d’hyper-éveil, on pourrait ainsi la combattre en bloquant temporairement ce neurotransmetteur », énonce Marc Rey. Avec comme cible les récepteurs de l’orexine situés dans diverses régions du cerveau, comme le cortex ou le tronc cérébral. Pour inhiber ces récepteurs, la recherche pharmaceutique a synthétisé et expérimenté des dizaines de milliers de molécules. Jusqu’à aboutir, en 2014, au premier médicament du genre : le suvorexant, autorisé aux États-Unis, en Australie ainsi qu’au Japon. Les patients ne gagnent toutefois qu’une vingtaine de minutes de sommeil. « La durée d’action est également un peu longue, engendrant des somnolences et maux de tête le matin », note Yves Dauvilliers. Les prescriptions, de fait, sont restées assez marginales.
Une amélioration de la vigilance en journée
Développé par la biotech suisse Idorsia, le daridorexant (principe actif du Quviviq) présente un profil pharmacocinétique et des bénéfices bien plus prometteurs. En 2022, des études de phase 3 effectuées sur 1850 patients dans 17 pays prouvent qu’il réduit les temps d’endormissement et d’éveils nocturnes de 35 et 29 minutes respectivement (soit environ une heure de sommeil supplémentaire), après trois mois de traitement. Contrairement aux benzodiazépines et molécules apparentées, ce « coupeur d’éveil » conserve par ailleurs l’architecture globale du sommeil sans porter atteinte aux phases de sommeil profond, essentielles pour consolider la mémoire. « Dès 2020, notre équipe a montré que le daridorexant n’engendrait en outre aucun effet secondaire diurne significatif, fait valoir Yves Dauvilliers.