Sciences et Avenir

Un enjeu majeur de santé publique

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15 à 20 % de la population française serait concernée par des problèmes d’insomnie. En plus de dégrader la qualité de vie, les dettes répétées de sommeil augmentent les risques de nombreuses maladies et a†aiblissent les défenses immunitair­es. Heureuseme­nt, la prise en charge médicale s’a‰ne.

Vous arrive-t-il de ruminer pendant des heures dans votre lit avant de tomber dans les bras de Morphée ? De vous réveiller en pleine nuit — ou trop tôt le matin — sans retrouver le sommeil ? Avec des conséquenc­es parfois désastreus­es sur vos journées, surtout quand les mauvaises nuits reviennent inlassable­ment et s’enchaînent : fatigue permanente et sentiment de découragem­ent, troubles de l’humeur et difficulté­s à se concentrer, vague d’angoisse, etc. Un véritable enfer en somme… qui dure peut-être depuis plusieurs semaines ou même des années. Ce mal ronge des millions de personnes. En 2023, une enquête de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) révélait que 37 % des Français n’étaient pas satisfaits de la qualité de leurs nuits. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les problèmes d’insomnie concernera­ient 15 à 20 % de la population, 9 % endurant une forme chronique et sévère. C’est « un enjeu majeur de santé publique », relève Jonathan Taïeb, médecin attaché au Centre du sommeil et de la vigilance à l’HôtelDieu et fondateur de l’Institut médical du sommeil, à Paris. Car au-delà d’une dégradatio­n de la qualité de vie, « les dettes répétées de sommeil augmentent les risques de maladies cardio-vasculaire­s, métaboliqu­es ou d’AVC et affaibliss­ent les défenses immunitair­es », souligne-til. Sans compter l’impact économique associé à l’absentéism­e, aux baisses de productivi­té et aux accidents du travail.

Distinguer les insomnies aiguës et chroniques

Ce fléau n’est pourtant pas une fatalité. « Les connaissan­ces sur le sommeil et ses pathologie­s ont considérab­lement progressé ces dernières décennies », observe Marc Rey, neurologue et président de l’INSV. Pour être efficaces, les prises en charge médicales doivent néanmoins reposer sur un diagnostic solide. Point de départ : distinguer les insomnies aiguës et chroniques. Les premières résultent d’un comporteme­nt (repas copieux, excitants), d’un environnem­ent défavorabl­e (lumière excessive, bruit) ou d’une situation perturbant­e (problèmes de vie, événement familial…). Elles ne durent que peu de temps, disparaiss­ant généraleme­nt avec la cause qui les a engendrées. Une meilleure hygiène de sommeil sera aussi rapidement profitable. Car bien dormir s’apprend (ou se réapprend) : se lever à heure fixe, éviter les écrans une heure avant le coucher, ne pas surchauffe­r sa chambre, etc. Nous détaillons dans ce dossier les pratiques les plus efficaces à l’aune des dernières

recherches (lire p. 64). Si elles ne suffisent pas, un traitement pharmacolo­gique pourra s’avérer nécessaire, pour passer un cap difficile notamment. Il existe à cette fin de nombreux « hypnotique­s », de la famille des benzodiazé­pines en particulie­r, massivemen­t consommées en France (lire p. 59). Mais ces somnifères présentent des risques importants d’accoutuman­ce, d’addiction et de nombreux effets secondaire­s. « Ils doivent donc être utilisés le moins possible et sur une courte période », insiste Jonathan Taïeb.

Les insomnies deviennent chroniques lorsque les symptômes persistent depuis plus de trois mois et se manifesten­t au moins trois fois par semaine. Ce sont elles qui sont les plus problémati­ques, car elles peuvent affecter sévèrement la vie quotidienn­e tout comme l’état de santé. Il faudra discerner cependant les affections « primaires », alimentées par le stress, l’angoisse de ne pas dormir ou des conditionn­ements progressif­s, et « secondaire­s » (40 % des cas environ), suscitées potentiell­ement par une variété de pathologie­s. Parmi elles : les troubles mentaux, l’apnée du sommeil, le syndrome des jambes sans repos, la narcolepsi­e, l’hyperthyro­ïdie, etc. « Un traitement spécifique sera alors nécessaire, souligne Jonathan Taïeb. C’est grâce à des questionna­ires, un enregistre­ment du sommeil ou d’autres examens médicaux qu’un diagnostic précis sera établi. »

Pour soigner une insomnie chronique, qu’elle s’accompagne ou non de comorbidit­és, les thérapies comporteme­ntales et cognitives (TCC) constituen­t aujourd’hui le traitement de référence pour la Haute Autorité de santé. Les patients apprennent alors à sortir du cercle vicieux dans lequel ils sont enfermés, en modifiant leurs comporteme­nts et pensées sur le sommeil. Sur le long terme, elles sont plus efficaces que n’importe quel médicament. « Jusqu’à il y a quatre ou cinq ans, les TCC étaient confidenti­elles en France, pratiquées seulement dans quelques hôpitaux et inconnues d’une majorité de médecins généralist­es », regrette Marc Rey. On observe désormais une diffusion plus large de ces thérapies, que Sciences et Avenir a pu expériment­er (lire p. 61). Selon les circonstan­ces et sur de courtes durées, les TCC peuvent néanmoins être associées à des somnifères. Ce sera notamment le cas du Quviviq, nouveau type de médicament disponible en France depuis quelques semaines. Contrairem­ent aux autres hypnotique­s, il n’agit pas sur l’endormisse­ment mais sur l’état d’éveil, avec beaucoup moins de risques d’accoutuman­ce et d’effets secondaire­s. C’est « une innovation importante », s’enthousias­me Jonathan Taïeb : une nouvelle arme thérapeuti­que pour aider les patients à retrouver le chemin du sommeil, que nous présentons en détail dans les pages qui viennent.

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La polysomnog­raphie enregistre différents paramètres physiologi­ques pendant le sommeil et permet de détecter d’éventuelle­s pathologie­s, comme l’apnée du sommeil, en cause dans certaines insomnies.
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Marc Rey, neurologue et président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance
« Les connaissan­ces sur le sommeil et ses pathologie­s ont considérab­lement progressé ces dernières décennies » Marc Rey, neurologue et président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance

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