Psychologies (France)

Petite histoire du stress

Existait-il avant l’ère éreintante du tout, tout de suite, tout le temps ? Dans le corps humain, oui. Dans la littératur­e scientifiq­ue, un peu moins. C’est dans les années 1970 que le « mal du siècle » devient tristement célèbre. Retour sur sa découverte.

- PAR AURORE AIMELET Santé mentale au Québec,

Il nous vient du latin stringere, qui signifie « rendre raide », « serrer », « presser ». Mais ses racines anciennes ne font pas de lui un vieux concept. « On ne trouve pas, dans la langue française, le mot “stress” avant le XX siècle, observe Jean Benjamin Stora, professeur émérite et psychanaly­ste-psychosoma­ticien, dans Le Stress (Que sais-je†?, 2019). En revanche, il a été employé dans les siècles précédents par la langue anglaise. Dès le XVII siècle, il était utilisé pour exprimer la souffrance, les épreuves, les calamités, conséquenc­es en somme d’une vie difficile, résumée en un seul mot. » Assimilé au terme distress, dont la traduction est « détresse », il évoque un état de contrariét­é. « Mais, au XVIII siècle, il y a une évolution sémantique puisque l’on passe de la conséquenc­e émotionnel­le du stress à l’agent le créant, c’est-àdire la force, la pression, la charge produisant une tension et à plus ou moins long terme une déformatio­n de l’“objet” », poursuit-il.

Comme la résilience – capacité d’un matériau à absorber de l’énergie quand il se déforme sous l’e™et d’un choc –, le stress est également une notion empruntée au monde de la métallurgi­e, puisqu’il désigne les modificati­ons de structure d’un métal soumis à une pression. « Le raisonneme­nt par analogie fit le reste, c’est-à-dire que le stress, qui peut déformer les métaux, peut aussi entraîner chez les êtres humains soumis à des tensions, des maladies somatiques et/ou mentales », indique le spécialist­e.

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UN « AIR MALADE » COMMUN À TOUTES LES PATHOLOGIE­S

Si, depuis 1970, des dizaines de milliers d’études et des centaines d’ouvrages lui sont consacrés, c’est grâce à Hans Selye, médecin canadien d’origine hongroise, surnommé le « père du stress ». Dans les années 1920, alors qu’il est encore étudiant à Prague, un curieux phénomène lui saute aux yeux lorsqu’il seconde le médecin-chef de l’hôpital. « Il avait observé, au cours de ses nombreuses visites de patients, que, peu importait ce dont les patients souffraien­t individuel­lement, ils avaient tous une chose en commun, ils avaient tous “l’air malade” », raconte Sonia Lupien , directrice

1 du Centre d’études sur le stress humain à l’université de Montréal. Étrangemen­t, ils se plaignent de plusieurs symptômes identiques, dont des douleurs aux articulati­ons ou des pertes d’appétit. Intrigué, Selye poursuit ses recherches pour mieux comprendre ces réactions, qui n’ont pourtant pas la même origine†; et, en 1936, il dévoile sa conclusion dans la prestigieu­se revue Nature . « Le

2 chercheur venait de découvrir ce qu’il appela à l’époque le “syndrome de l’adaptation générale”, c’est-àdire la réponse caractéris­tique, mais non spécifique, que le corps produit lorsqu’il est soumis à des conditions adverses », précise la psychiatre. Quel que soit l’agent qui agresse l’organisme (le chaud, le poids, mais aussi la privation, l’enfermemen­t), la réponse ne passe que par un seul canal, celui de la décharge d’adrénaline, suivi d’une production de cortisol, des hormones nécessaire­s à la mobilisati­on de ses forces physiques et mentales. Un peu plus tard, Selye emprunte le terme « stress » aux ingénieurs. C’est celui qu’il retiendra en 1974 pour son ouvrage fondamenta­l, Stress sans détresse , dans

3 lequel il le définit par « l’ensemble des moyens physiologi­ques et psychologi­ques mis en oeuvre par une personne pour s’adapter à un événement donné ».

1. Dans « L’histoire de la science du stress : de Hans Selye à la découverte des antiinflam­matoires », été 2015.

2. « A Syndrome Produced by Diverse Nocuous Agents », Nature, 1936. 3. Éditions La Presse, Montréal, 1974.

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