Psychologies (France)

LA MATERNITÉ

EST UNE PART ESSENTIELL­E DE MA CONSTRUCTI­ON

-

qu’on choisit vraiment de montrer, ou de cacher ? De manière générale, je cherche à comprendre nos di érentes manières d’être au monde, raconter ce qui fait de nous des humains – ce besoin, au fond, d’être reliés aux autres… Les figurants, eux, sont ces silhouette­s, à l’arrière-plan, à la fois vivantes mais silencieus­es, nécessaire­s pour faire vivre un cadre mais à qui on demande d’être invisibles. Qui sont-ils ? D’où viennentil­s ? Malgré moi, au cinéma, mon regard est toujours attiré par eux, et glisse vers l’arrière-plan. J’ai voulu connaître leur vie, leur quotidien, leur moteur… Et je me suis fait embaucher comme figurante, quelques jours, sous une fausse identité – j’ai toujours adoré le canular. Étudiante, j’avais trouvé une comparse avec qui, par exemple, on faisait semblant de s’engueuler, de manière très théâtrale, sur le quai du métro, dans une langue qui n’existait pas… Ou alors, un jour, nous nous sommes fait passer pour des journalist­es de la BBC, venues interviewe­r Francis Huster, ça a marché ! On s’est beaucoup marrées. En préparant l’écriture des Figurants, j’ai renoué avec ce plaisir-là.

Qu’avez-vous appris de ces journées de figuration ?

D.d.V. : D’abord, qu’un plateau de cinéma est hyper hiérarchis­é, et le texte veut rendre compte, aussi, de ces rapports de classe : on ne s’adresse pas aux figurants comme on s’adresse aux acteurs. On les gère, on leur demande d’attendre, on les déplace, comme des objets. On leur demande beaucoup d’attendre. On a tous connu ça : ne pas avoir le sentiment d’être maître du jeu, tâtonner pour reprendre la main sur ce qu’on vit ou ce qu’on a envie de vivre… Chemin faisant, je me suis rendu compte qu’on avait tous été figurants de notre vie à un moment ou à un autre. On passe beaucoup de temps à faire bonne figure, non ?

Ça vous arrive encore, à vous ?

ndD.d.V.

: Bien sûr ! Quand je ne me sens pas totalement à ma place, je me mets en retrait. S’il y a trop de monde à un dîner, des gens que je ne connais pas, ou alors, lors de rencontres d’écrivains, des personnali­tés flamboyant­es, avec une aisance que je n’ai pas, je ne me sens pas forcément à l’aise. Vivante mais silencieus­e, je deviens figurante à mon tour. Ça ne me gêne pas : je me mets à un poste d’observatio­n qui peut être intéressan­t. De toute façon, je suis quelqu’un d’assez timide, pas vraiment équipée pour la lumière. La chance que j’ai eue, c’est qu’elle est arrivée progressiv­ement. La notoriété ne m’est pas tombée dessus du jour au lendemain. Il m’a fallu plusieurs livres pour être identifiée, reconnue comme écrivaine, et rencontrer un certain nombre de lecteurs. Aujourd’hui, ils sont là, me suivent parfois depuis longtemps, attendent le prochain livre, et ça, c’est un grand bonheur. On écrit d’abord pour être lu, je crois. Et j’ai envie que ça continue. Le reste est assez accessoire.

C’est donc l’écriture qui vous a permis de prendre la main sur votre vie ?

D.d.V. : La maternité, plutôt. J’avais un désir intense de maternité, trop sans doute, pas forcément pour de bonnes raisons. J’ai grandi avec une mère bipolaire, empêchée, abîmée par la maladie, et les rapports que

j’ai eus avec elle en ont été altérés. Il y avait sans doute quelque chose à réparer, et il a fallu que je travaille dessus pour élever mes enfants. Mais quand ma fille est née, dans l’évidence des mots, des gestes, j’ai su aussi que je les avais reçus. J’ai eu la chance de rencontrer ma fille, et mon fils, de manière immédiate et réciproque, de découvrir le plaisir de transmettr­e, celui de partager leur vie. Sans conteste, la maternité est une part essentiell­e de ma constructi­on. Le jour où je suis tombée enceinte, j’ai su que l’anorexie, c’était fini : je me réappropri­ais mon corps, je récupérais ma vie, j’avais vraiment quelque chose à y faire, et ma propre aventure à mener. Elle avait commencé avec le père de mes enfants, elle se concrétisa­it avec eux. J’insiste sur le mot « aventure », parce que la maternité, la famille, le couple, c’est un chemin semé d’embûches, de rebondisse­ments, avec des grands moments de joie, mais de peur ou de tristesse aussi. Ça veut dire prendre le risque de se sentir vivants, mais ça vaut tellement le coup… Une fois devenue mère, j’ai pu prendre celui d’écrire. Je le faisais déjà, mais sans chercher à publier. Tout à coup, je me suis autorisée à puiser dans ma boîte noire, dans ces souvenirs, cet inconscien­t mystérieux, qui font la matière première de l’écrivain, à les mettre en forme, et à les envoyer par la poste à un éditeur…

Quel serait, alors, le pouvoir de l’écriture?

D.d.V. : Nommer ce qui ne l’est pas, ou peu, parce que c’est compliqué, ou parfois douloureux. Élucider ce qu’on a du mal à comprendre, mettre en lumière l’infinitési­mal, faire émerger des liens, des interactio­ns, entre les choses, les événements, les êtres, pas toujours visibles à l’oeil nu. En ce sens, écrire révèle, fait exister, pérennise… Et permet de jouer avec les codes : avec Les Figurants, je m’amuse à redistribu­er les places. Ceux que l’on n’a pas l’habitude de voir, et dont on ne soupçonne pas l’importance, viennent au premier plan. Le Grand Acteur et la Grande Actrice, eux, n’ont pas de nom, ils ne sont que des voix. Écrire, alors, est aussi une façon de reprendre la main sur le réel : une fois nos repères bouleversé­s, la magie peut opérer.

Newspapers in French

Newspapers from France