Psychologies (France)

UN VAGUE À L’ÂME, C’EST SÉRIEUX !

Estimer que son travail, son couple ou sa vie manquent de sens n’est pas qu’une question métaphysiq­ue. Ce sentiment fait sou rir. Au point de le retrouver parmi les symptômes de certains mal-être et troubles psychiques. Explicatio­ns de la psychiatre Chrin

- PAR AURORE AIMELET

C’est un sentiment di us multiforme qui ne répond pas toujours à un tableau clinique. Sur le papier, certains vont plutôt bien. Pour autant, ils ne sont pas très heureux. Un fond d’anxiété, des coups de blues, une fatigue physique, relationne­lle, psychique, peu d’envies, moins d’énergie… Mais tout cela, se disent-ils, ne mérite pas une consultati­on puisqu’ils n’ont pas vraiment de problèmes. Et puis peut-être se posent-ils trop de questions, après tout. Dont ils peuvent aussi bien chercher les réponses dans des courants de développem­ent personnel, de philosophi­e, de spirituali­té, voire d’ésotérisme. Les gourous en tout genre qui polluent le monde du bien-être se sont d’ailleurs saisis de cette confusion au coeur du malaise de la civilisati­on actuelle. Eux promettent de retrouver le « Sens », ce Graal, via quelques remèdes ou activités obscures… Sauf qu’un vague à l’âme, c’est sérieuxŠ! La perte d’élan vital mérite toujours d’être interrogée en cabinet, ne serait-ce que pour quelques séances, parce qu’elle témoigne d’une santé mentale fragilisée. Et parfois d’une psychopath­ologie.

UN RÉEL MAL-ÊTRE

Pour Christine Mirabel-Sarron, la perte de sens est particuliè­rement prégnante chez trois types de patients. « Il y a d’abord ceux dont la structure ou la représenta­tion familiale un jour se fissure alors qu’ils en avaient gardé une image idéalisée. Parce qu’ils prennent conscience à l’âge adulte qu’un parent n’a pas été su“samment bon. Parce qu’ils apprennent qu’un frère, une soeur, un oncle s’est mal conduit. Parce que soudain, les valeurs familiales qui ont été transmises vont à l’encontre des leurs. » Le lien qui donnait un sens à leur existence semble rompu et ils n’ont plus confiance en l’autre. « Perdus, ils

“On ne donne ou on ne redonne pas un sens à sa vie sans repères, sans balises, sans points d’appui” • CHRISTINE MIRABEL-SARRON •

éprouvent de la déception, de l’amertume, parfois une forme de sidération. Et tentent de rebâtir sur du vide, un séisme, des gravats. » Et puis, il y a ceux qui sont littéralem­ent débordés par leur sensibilit­é. « Eux se méfient souvent d’eux-mêmes. On l’observe par exemple dans le trouble de la personnali­té borderline : la trop forte réactivité émotionnel­le empêche d’avancer vers un objectif. » Lundi, ça va‚; mardi, ça ne va plus. La vie est en dents de scie. Enfin, il y a les personnes déprimées. « Celles-ci vivent une rupture dans leur fonctionne­ment, comme s’il y avait un avant et un après. Les symptômes, qui peuvent être d’intensité légère, modérée ou intense, sont toujours les mêmes : la tristesse, la perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilit­é ou de faible estime de soi, des troubles du sommeil ou de l’appétit, un épuisement cognitif (problèmes de concentrat­ion, de mémoire). Ici, la perte de sens est marquée par une absence d’intérêt globale, pour soi, pour l’autre et pour le monde. »

VALEURS ET ACTIONS CONCRÈTES

Parce qu’elle fait sou‹rir jusqu’à parfois mener au pire, cette errance intime doit être analysée en thérapie. D’autant qu’elle est aussi le matériau qui peut servir de tremplin au rétablisse­ment. « Lorsque l’état des patients le permet, précise cependant Christine Mirabel-Sarron. Pour les troubles psychiques sévères, on attendra de réduire la charge dépressive des symptômes. Ensuite, un travail sur les valeurs pourra être entrepris, mais surtout sur les actions concrètes qui peuvent être envisagées pour exprimer ces valeurs au quotidien. On ne donne ou on ne redonne pas un sens à sa vie sans repères, sans balises, sans points d’appui. Comme ces marques indélébile­s que l’on aperçoit sur les chemins de randonnée et qui servent de guide pour vérifier qu’on est sur la bonne voie. »

Concrèteme­nt, la psychiatre demande à ses patients quel domaine de leur vie leur pose souci (le travail, la famille, l’amour…), puis leur propose de citer trois valeurs essentiell­es (la générosité, la liberté, la transmissi­on, la paix…) et les invite à choisir, pour chacune, trois objectifs (oser dire non aux heures supplément­aires, échanger avec les enfants dix minutes par jour sans aborder la question des devoirs, aller seul ou en couple au cinéma une fois par mois…).

C’est ainsi, en avançant pas à pas, que le sens se dessine ou qu’ils le découvrent, au gré des expérience­s. L’estime de soi se répare, ils gagnent en confiance, éprouvent davantage de satisfacti­on, obtiennent des retours gratifiant­s de l’extérieur… Cette spirale positive pourrait-elle finalement garantir à tous une bonne santé mentale‚? « Donner un sens à sa vie ne protège pas de l’apparition d’un trouble psychique, tempère la psychiatre. Mais incarner ses valeurs donne le la puisqu’alors on est en harmonie avec soi-même. » Et si l’on vacille, parce que de toute évidence il est de ces moments de stupeur et de tremblemen­ts, on pourra toujours se raccrocher à ces petites marques qu’on aura peintes sur son chemin de randonnée.

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