MONTEVERDI
L’incoronazione di Poppea
Maya Kherani (Fortuna, Drusilla) - Ambroisine Bré (Virtù, Ottavia) - Julie Roset (Amore, Valletto) - Iestyn Davies (Ottone) - Elsa Benoit (Poppea) - Jake Arditti (Nerone) Stuart Jackson (Arnalta, Nutrice) - Alex Rosen (Seneca) - Riccardo Romeo (Liberto) Laurence Kilsby (Lucano) - Yannis François (Littore)
Cappella Mediterranea, dir. Leonardo Garcia Alarcon. Mise en scène : Ted Huffman.
Réalisation : Julien Condemine (stéréo ; Dolby Digital 2.0)
1 DVD + 1 Blu-ray Château de Versailles Spectacles CVS 118
L’heureuse, mieux, miraculeuse surprise de l’édition 2022 du Festival d’Aix-en-Provence (voir O. M. n° 185 p. 27 de septembre) méritait, évidemment, qu’une captation s’ajoute au souvenir, et aux nombreuses reprises, passées et futures – l’Opéra de Toulon la verra en avril prochain –, pour la faire passer, définitivement, à la postérité.
Mais pourquoi diable l’avoir réalisée à l’Opéra Royal de Versailles, où le spectacle a été remonté, dans l’urgence – de l’aveu même, sur son compte Instagram, de l’une des interprètes –, en janvier 2023, plutôt qu’à la création, au terme d’une patiente période de gestation, dans l’écrin idéal du Théâtre du Jeu de Paume ? Et avec des protagonistes, en grande partie renouvelés, que la comparaison, inévitable, n’avantage guère ?
Ambroisine Bré fait exception, aux moyens moins opulents, certes, que Fleur Barron, mais plus adéquats, pour une Ottavia atteignant la vérité du personnage par la concentration du jeu et du chant. Ogresque, ici comme en tout, quoique délicat, Stuart Jackson réussit le contre-emploi, comme le transformisme, qui lui fait alterner Nutrice et Arnalta, sans, toutefois, atteindre l’évidence originelle de Miles Mykkanen. Succédant, en Ottone, à PaulAntoine Bénos-Djian – qu’on a revu, dans cette production, plus bouleversant encore, à l’Opéra de Rennes, en octobre dernier (voir O. M. n° 197 p. 82 de novembre 2023) –, Iestyn
Davies ne fait, tout simplement, pas le poids. Musicien, bien sûr, mais d’une couleur, unique, et d’une expression, policée, dépourvues de ce frémissement inquiet et poétique que le contre-ténor français conférait au rôle, rendu par le falsettiste britannique à son habituelle condition de rival falot. Elsa Benoit, enfin, possède toute la pulpe nécessaire à Poppea, chez qui n’agit cependant pas, entêtant et hypnotique, le charme de Jacquelyn Stucker. Reconduit, Jake Arditti ajoute aux tensions et stridences auxquelles le condamne, presque en permanence, la tessiture élevée de Nerone, un manque patent de phonogénie. Maya Kherani paraît, en revanche, bien plus à l’aise qu’à Aix-en-Provence, en Drusilla, comme en maillot de bain – ceci expliquant, peut-être, cela. Et Alex Rosen demeure, d’une éclatante jeunesse, un superbe Seneca, tandis que le tempérament explosif de Julie Roset réjouit autant en Amore qu’en Valletto, qui, ici, se confondent. Leonardo Garcia Alarcon et son ensemble Cappella Mediterranea, au sein duquel cornets et flûtes à bec s’ajoutent aux seules cordes – pincées et frottées – prescrites par une rigueur musicologique souvent bousculée, portent la réalisation du matériel étique laissé par Monteverdi et ses disciples, jusqu’à l’ivresse d’une quasi-réécriture. En symbiose avec le rythme du théâtre très contemporain de Ted Huffman. Ainsi que le raconte le chef argentin dans l’épaisse plaquette accompagnant, au sein du même coffret, le DVD et le Blu-ray, c’est Patrice Chéreau qui, s’il avait vécu, aurait dû mettre en scène L’incoronazione di Poppea. Son cadet semble davantage s’inscrire dans la lignée de Peter Brook, disparu une semaine avant la première aixoise, avec cet espace – presque – vide, où s’expriment, avec une constante justesse, des visages et des corps. Qui se suffisent à euxmêmes.
Il est, dès lors, tout sauf certain qu’en multipliant, comme si elle dressait un catalogue, les angles de prise de vue, en plans plus ou moins rapprochés, champs-contrechamps et autres contre-plongées, la caméra zélée, mais intrusive, de Julien Condemine donne une image fidèle de la production.