CYRILLE DUBOIS
Schubert : Winterreise
Anne Le Bozec (piano)
1 CD NoMadMusic NMM 117
Louis Beydts (1895-1953) n’a pas été complètement oublié. Quiconque s’intéresse à des domaines tels qu’opérette, musique de film, mélodie française, ou même histoire des institutions théâtrales (le compositeur a été, juste avant sa mort prématurée, directeur de l’Opéra-Comique), a forcément déjà croisé ce nom. La savoureuse opérette La SADMP (Société Anonyme des Messieurs Prudents) connaît, depuis vingt ans, un réel regain de popularité ; les cinéphiles voient passer Louis Beydts au générique de certains classiques du cinéma français des années 1930 à 1950 (La Kermesse héroïque de Jacques Feyder, Le Secret de Mayerling de Jean Delannoy...) ; et des sopranos, dont Sabine Devieilhe, n’hésitent pas à mettre à leur programme les Chansons pour les oiseaux, que tout amateur de mélodie française se doit, effectivement, de connaître.
C’est en partant de ce cycle que Cyrille Dubois et son accompagnateur, Tristan Raës, ont eu la tentation d’effectuer d’autres recherches. La qualité de toutes les partitions qu’ils ont pu retrouver et déchiffrer, les a incités à enregistrer ce récital entier, en studio, en novembre 2022. Pas une intégrale, qui devrait inclure une centaine de pièces, mais déjà un panorama relativement large.
À quoi ressemble cette musique agréable et raffinée ? En fait, et c’est là, sans doute, l’un de ses principaux handicaps, à trop de choses. À chaque introduction pianistique, on ne peut s’empêcher de penser immédiatement à un modèle : Debussy,
Fauré, Ravel, Hahn, Roussel... Parfois, l’appropriation des tics de composition est vraiment troublante. Pourtant, à mesure que la musique avance, s’impose un véritable ton personnel, avec des originalités harmoniques souvent curieuses, proches du music-hall et du jazz. Rien à voir, certes, avec la singularité immédiate d’un Poulenc, mais, en aucun cas, non plus, avec des curiosités de fond de tiroir.
On apprécie, dans tous les cas, une véritable qualité d’écriture, servie à merveille par les talents de diseur et de chanteur toujours souple de Cyrille Dubois. L’écriture de Louis Beydts, cela dit, n’est pas aisée, avec quelques aigus difficiles à atteindre, la voix du ténor français paraissant parfois sollicitée aux limites de ses possibilités. Dans L’Oiseau bleu, très escarpé, l’interprète ose même un pragmatique falsetto, jusqu’à un contre-mi bémol bien senti.
Détails techniques, qui n’altèrent en rien une impression générale de remarquable aisance dans cette musique à découvrir, défendue avec un goût parfait.
Schubert et Winterreise, c’est une tout autre aventure ! Là, il n’est plus question de répertoire laissé en friche, mais bien d’une concurrence discographique intense, où même les ténors, pourtant minoritaires dans ce cycle, surabondent. Avec, par rapport aux barytons et aux basses, quelques atouts particuliers, dont un timbre qui peut s’émacier, voire oser tout un arsenal de déchirements divers, aux frontières d’un maniérisme dans lequel il reste, cependant, souhaitable de ne pas basculer.
Un déchirant Jon Vickers a promené là une saisissante voix en ruine (Warner Classics, VAI Music), un Peter Schreier y a osé des détimbrages à glacer le sang (Decca, Philips), et un Ian Bostridge s’y est livré à toutes sortes de contorsions hystériformes (Warner Classics, Pentatone). On se laisse impressionner ou on déteste... Et puis, surtout, rien n’interdit de préférer des ténors dotés d’une voix charpentée et saine, n’excluant, en aucune façon, une profonde introspection tragique. Dans cette catégorie, le modèle reste, pour nous, la fantasmagorique version de Peter Anders et Michael Raucheisen, enregistrée à Berlin, en 1945, dans une ville
réduite à l’état de décombres (Deutsche Grammophon).
Cyrille Dubois n’a pas le timbre le plus généreux du moment, mais sa flexibilité d’émission et son parfait respect du texte, avec de vraies consonnes et de vraies voyelles, au service d’une prononciation allemande plutôt idiomatique, ont le mérite de se suffire à eux-mêmes, sans nécessité de tomber dans une quelconque hyper-expressivité.
Dès lors, dans cet enregistrement de studio, réalisé en janvier 2021, le glissement inexorable vers le tragique et la mort s’opère plus insensiblement, un cheminement très intériorisé, mais non moins efficace. On ressent ici quelque chose de nu, de poignant, de véridique, une solitude anxiogène admirablement accentuée par le piano tout en ombres d’Anne Le Bozec, et une acoustique un peu mate, qui n’enjolive rien.
Un Voyage d’hiver sans doute pas mythique, mais d’une touchante sincérité, pathétiquement humain et proche.