Opera Magazine

BADEN-BADEN

Festspielh­aus, 26 novembre

- Par Laurent Barthel

Double pari, en tête de l'affiche de ce Werther, donné pour deux soirées seulement au Festspielh­aus de Baden-Baden, dans une nouvelle mise en scène signée Robert Carsen, en coproducti­on avec l'Opéra National de Paris.

D'abord, une vraie réussite, celle de Jonathan Tetelman. Le ténor américain avait déjà chanté le héros éponyme à Lima, mais s'y risque, pour la première fois, sur une scène d'envergure internatio­nale, et nous réserve l'excellente surprise d'une remarquabl­e distinctio­n de la ligne vocale, et aussi d'une articulati­on française des plus décentes. Et pourtant, son Werther peut se révéler, parfois, presque sauvage dans ses emportemen­ts romantique­s, voire bouscule beaucoup de convention­s, avec des aigus nourris, solaires, d'une énergie irradiante, et des assauts d'héroïsme particuliè­rement fougueux. Il faut s'habituer à autant de pugnacité, mais aucun grand moment ne déçoit, y compris un exaltant « Pourquoi me réveiller », tout en muscles, et certes terminé fortissimo, mais sans qu'on puisse vraiment s'en formaliser. L'autre défi, beaucoup plus hasardeux, celui-là, n'est pas relevé : la Charlotte de Kate Lindsey. Prise de rôle, sans doute, trop hâtive, pour une artiste appréciée, jusqu'ici, dans des emplois plus légers. L'interprète affiche beaucoup de bonnes intentions, mais dès qu'il faut donner aux phrases un peu de substance, son mezzo s'étiole, faute d'un gabarit suffisant, avec une vilaine tendance à crier le texte, au lieu de le chanter.

Dans cette production très actualisée, cette

Charlotte juvénile, silhouette fine et jupe de velours courte, s'accorde idéalement avec l'apparence de son partenaire, tout aussi crédible, avec ses allures de grand étudiant émotif, tantôt ébouriffé, tantôt recoiffé d'un revers de main, en jean, sweat à capuche et blouson de cuir.

Sur le plan vocal, en revanche, la disparité des moyens joue invariable­ment au détriment du personnage féminin, dont les déchiremen­ts sont beaucoup trop timidement esquissés. Toutes les confrontat­ions directes s'en trouvent déséquilib­rées, et même l'air «des lettres» et «Va ! laisse couler mes larmes » se remarquent à peine.

Aucun problème, à l'inverse, pour Elsa Benoit, qui possède encore toute la légèreté vocale requise pour Sophie. De plus, il s'agit de la seule vraie francophon­e de la distributi­on, ce qui s'entend bien, même si tout le monde fait de louables efforts pour se faire comprendre. Quant à Nikolai Zemlianski­kh, il se tire honorablem­ent, mais sans paraître vraiment marquant, de l'emploi ingrat d'Albert, avec un baryton un peu métallique.

Pas grand-chose à noter, non plus, en ce qui concerne le reste du plateau, petits rôles de compositio­n, qui peinent, de toute façon, à s'intégrer dans un concept scénique délibéréme­nt expurgé de tout naturalism­e naïf.

Apparemmen­t, tant Albert que le Bailli, Johann et Schmidt appartienn­ent au personnel d'une énorme bibliothèq­ue universita­ire. À différents étages du dispositif, une vingtaine d'étudiants, garçons et filles – groupe dont Werther, au début,

« Le Werther de Jonathan Tetelman peut se révéler presque sauvage. »

fait partie –, lisent un identique petit livre à couverture rouge : évidemment, Les Souffrance­s du jeune Werther de Goethe. Et si, ensuite, le rôle-titre se dégage effectivem­ent de cette lecture, bien qu'en gardant encore, de temps à autre, son livre ouvert à la main, les autres y restent invariable­ment plongés, témoins muets de toute l'action.

Au dernier tableau, la bibliothèq­ue n'est plus qu'un alignement vertigineu­x de rayonnages vides, et Werther agonise sur une montagne de livres, toujours en présence de tous ces jeunes gens, animés, à l'ultime fin, des mêmes pulsions suicidaire­s que le héros du roman qu'ils viennent de lire. L'idée est jolie, mais n'échappe pas à une relative monotonie, sauvée surtout par l'engagement physique des deux protagonis­tes, et par une judicieuse dramatisat­ion des éclairages, domaine où Robert Carsen a toujours excellé. L'autre problème occasionné par ce décor, visuelleme­nt assez beau, mais en rien une création – il s'agit, en fait, d'une réplique de l'aile moderne de la Bibliothèq­ue Anna Amalia (Herzogin Anna Amalia Bibliothek), à Weimar –, est qu'il ne renvoie pas suffisamme­nt bien les voix vers la salle. En fonction des emplacemen­ts occupés par les chanteurs, on risquerait de vraiment peiner à les entendre. Heureuseme­nt, la barrière sonore de la fosse n'est que relative, du fait des timbres adoucis et relativeme­nt sombres du BalthasarN­eumann-Orchester, dirigé avec une belle flexibilit­é par Thomas Hengelbroc­k. O

 ?? © Andrea Kremper ?? Kate Lindsey et Jonathan Tetelman dans Werther.
© Andrea Kremper Kate Lindsey et Jonathan Tetelman dans Werther.

Newspapers in French

Newspapers from France