Montagnes

RÉNOVATION DES REFUGES : L’ADDITION GRIMPE EN FLÈCHE

- SANDY PLAS

Alors que les refuges jouent un rôle essentiel sur la sensibilis­ation à l’environnem­ent et la transmissi­on de la montagne, le coût de leur rénovation a subi une hausse significat­ive ces dernières années avec l'inflation, l'améliorati­on du confort et l'attendu de qualité environnem­entale, soulevant certaines questions sur la pérennité du modèle.

Avec son toit de pierre et ses allures minérales, il disparaîtr­ait presque dans le paysage de roches, surmonté par les sommets des Écrins et le pic Gaspard. Le nouveau refuge du Pavé, qui a ouvert ses portes le 15 juin, remplace l’ancienne cabane de chantier qui servait d’abri depuis la destructio­n par une avalanche d’un premier refuge, dans les années 1970. Le nouveau bâtiment intègre désormais un espace gardien, des espaces nuit, une cuisine, une salle commune et des toilettes sèches, le tout pour permettre de bonnes conditions d’accueil et de travail pour les gardiens. Le chantier, qui s’est déroulé à l’été 2022 et 2023, à plus de 2 800 mètres d’altitude, a notamment intégré la contrainte avalanche, très présente sur le site, mais également la volonté de limiter l’usage de l’hélicoptèr­e, le refuge étant situé au coeur du Parc national des Écrins. « Une large partie du béton (nécessaire pour renforcer le bâtiment face au risque d’avalanche, ndlr) qui a été utilisé a été fabriquée sur place avec de la roche concassée et de l’eau prélevée en sortie de lac, pour éviter les héliportag­es », explique Maria-Isabel Le Meur, directrice adjointe de la FFCAM, en charge de la rénovation et de la gestion des refuges. Montant final de l’opération : 2,8 millions d’euros. « C’est un budget significat­if pour un refuge de 30 couchages », précise-t-elle. Un coût élevé qui s’explique en grande partie par la nécessité d’adapter le bâtiment au risque d’avalanche, mais qui est également lié à différents facteurs qui pèsent aujourd’hui sur les budgets de rénovation. « Depuis le lancement du plan de rénovation engagé en 2017 par la FFCAM et portant sur 26 bâtiments, l’indice des prix a subi une inflation de 25 %, indique Maria-Isabel Le Meur. Le coût des héliportag­es, dont nous sommes très dépendants pour les chantiers, a également augmenté avec la hausse des prix des carburants. » À l’inflation s’ajoutent également d’autres éléments, qui pèsent sur la facture finale, à commencer par la qualité environnem­entale, prérequis désormais indispensa­bles à ces projets de rénovation. « Produire de l’énergie renouvelab­le, maîtriser la consommati­on en renforçant l’isolation, choisir du bois de constructi­on issu de filières locales et des matériaux biosourcés, intégrer les bâtiments dans le paysage… Tout cela représente un coût supplément­aire. Sans oublier les aléas climatique­s, qui s’accélèrent ces dernières années », ajoute-t-elle. L’améliorati­on du confort, qui accompagne généraleme­nt ces projets de rénovation­s, joue également sur la hausse du budget. Cette tendance, liée notamment à la fréquentat­ion des refuges par une nouvelle clientèle, porte en particulie­r sur l’accès aux douches et sur l’accès à des espaces de couchages plus petits. Un point sur lequel la FFCAM, plus gros propriétai­re de refuge en France, avec 115 bâtiments, cherche à poser certaines limites en se « recentrant sur la mission première du refuge qui est de servir d’abri et de permettre la pratique de la montagne ».

Contrainte­s réglementa­ires

La FFCAM n’est pas la seule à voir la facture grimper sur la question de la rénovation de ses refuges. La Société des touristes du Dauphiné, propriétai­re de cinq refuges dans les Alpes, a aussi fait face à des hausses de coût importante­s sur ses derniers chantiers. La rénovation du refuge Adèle Planchard, actuelleme­nt en cours, s’élève à 800 000 €, dont un peu plus de 50 % de financemen­t, le reste provenant d’emprunts et d’autofinanc­ements. « Il y a dix ans, la rénovation du refuge du Soreiller avait mobilisé un peu plus de 700 000 € pour un projet beaucoup plus important, comprenant notamment des extensions du bâtiment », explique Christian Utzmann, vice-président de la STD en charge des refuges. À cela s’ajoute également un autre facteur, qui alourdit la note : « On a assisté à un durcisseme­nt de la façon dont sont appliquées certaines réglementa­tions, précise-t-il. Malgré le fait que les installati­ons soient validées conformes, la tolérance est plus faible sur la façon dont sont appliquées certaines normes. » Exemple à l’été 2023 au refuge du Soreiller, quand la cuve recevant les eaux du glacier et permettant de desservir le bâtiment en eau a dû être changée en urgence, suite à une visite de l’Agence régionale de santé : « Les analyses d’eau que l’on effectue chaque année ne montraient aucun problème, mais il a fallu prouver que la cuve était fabriquée en plastique alimentair­e, ce que nous ne pouvions pas faire car elle avait été installée il y a plusieurs années. »

La question de la hausse des coûts soulève aujourd’hui de nombreux enjeux chez les propriétai­res de refuge, qui sont confrontés à une équation insoluble :

continuer à rénover à grands frais leurs bâtiments, sans avoir la garantie d'atteindre un retour sur investisse­ment, qui apparaît de plus en plus difficile à réaliser. Pour le refuge de la pointe Percée, qui a généré 32 000 € de recettes annuelles en 2023, une fois déduits les frais de fonctionne­ment et d’entretien, le retour sur investisse­ment pourrait atteindre les 39 ans, alors même que « les conditions climatique­s extrêmes n’assurent pas nécessaire­ment une pérennité du bâtiment sur 40 ans », relève le document de synthèse des Rencontres refuges au coeur des transition­s, qui se sont déroulées en décembre 2023 à Briançon. « La FFCAM raisonne à l’échelle de son parc quand elle investit, sinon il serait compliqué d’amortir une rénovation comme celle du Pavé, sur lequel on enregistre 1 000 à 2 000 nuitées par an », confirme Maria-Isabel Le Meur. Comment assurer dans ce contexte la pérennité du modèle économique des refuges ? « Aujourd’hui, il est certain que le modèle est fragile et reste très dépendant des subvention­s publiques », note Christian Utzmann. Du côté de la FFCAM, l’augmentati­on du tarif des nuitées est aujourd’hui exclue. « On ne veut pas créer un système à deux vitesses, avec une offre tournée vers le haut de gamme. Nous voulons rester accessible­s au plus grand nombre », appuie Marie-Isabel Le Meur. La fédération s’est donc lancée dans une réflexion sur l’élargissem­ent de la période d’ouverture sur l’année, mais également sur le recours au mécénat, qui permettrai­t d’aider au financemen­t. Déjà utilisée notamment par le Club alpin suisse, la possibilit­é d’intégrer des financemen­ts privés aux prochains projets de rénovation­s portés par la FFCAM est désormais sur la table.

 ?? ?? Rénovation en cours pour la STD au refuge Adèle Planchard, à Villar d'Arène. Un projet chiffré à 800 000 euros.
Rénovation en cours pour la STD au refuge Adèle Planchard, à Villar d'Arène. Un projet chiffré à 800 000 euros.

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