L’arôme des livres Une librairie café et ses habitués à Séoul
Les premiers mois après l’ouverture de sa librairie, Yeong-ju restait lire à son bureau près de la caisse, la mine blême, les larmes aux yeux. Petit à petit, elle s’est déridée, le lieu a pris de l’attrait et ses commentaires de livres sur Instagram ou ses notes de la taille d’une paume glissées entre les pages ont amené des clients venus de bien audelà du quartier. Et puis, elle a embauché Min-jun, un jeune homme silencieux et réservé mais un fabuleux barista. Bienvenue à la librairie Hyunam a pour cadre un «book café», lieu en vogue en Corée du Sud où l’on peut déguster une boisson tout en lisant tranquillement. «Lire des livres et préparer du café ont beaucoup de similitudes.» L’essentiel du roman se passe dans la boutique, dans un quartier de Séoul, à part quelques dîners entre copines chez Yeong-ju ou dans le magasin de torréfaction de son amie Jimi. Le premier roman de Hwang Bo-Reum, best-seller dans son pays en 2022, a été élu livre de l’année des libraires coréens. C’est une ode à la librairie indépendante et au bon café.
1 Que lit
Yeong-ju ?
Depuis l’enfance, des fictions, qui lui permettent «de s’abstraire de ses émotions pour s’imprégner de celle des autres». Ces derniers temps, le thème de ses lectures tourne autour du départ. Dans ses mains, Animal triste de Monika Maron, l’histoire d’une femme qui quitte sa famille par amour. Le portrait de la libraire, hypersensible et modeste, se déploie subtilement tout au long du roman: elle a rompu avec un passé qui continue à la hanter. Au présent, elle a créé un book café chaleureux, où les gens se sentent bien, telle Jeongseo qui s’est incrustée pour tricoter. Chaque personnage vit ou a vécu une déception, le trait ne s’appesantit pas, et ne cherche pas un happy end démonstratif.
2 Que lit
Min-cheol ?
Min-cheol ne s’intéresse à rien, ni aux études, ni aux jeux vidéo, ni aux copains au désespoir de sa mère. «Conseille-moi un livre qui dégèle mon coeur», demande celle-ci à Yeong-ju. Celle-ci réfléchit et lui suggère Amy et Isabelle d’Elizabeth Strout, qui porte sur les relations entre une mère et sa fille. Au lycéen lui-même, elle prête l’Attrape-coeurs, sans succès. «Vous pensez qu’il faut absolument que je lise ça ?»
3 Que lit
Seung-woo ?
Vendre des livres n’est pas suffisant pour survivre financièrement. Et Yeong-ju se refuse à proposer des best-sellers. Alors elle élargit les horaires d’ouverture, lance un club de lecture et organise des rencontres avec des écrivains le deuxième mercredi du mois. Demain, elle reçoit Lee Ah-reum, l’autrice de Je lis tous les jours, qui fait remarquer que la moitié des Coréens adultes ne lisent même pas un livre par an. «Nous sommes trop occupés et nous n’avons ni le temps ni la disponibilité psychologique. C’est ainsi que fonctionne la société.» Son conseil: le minuteur. Elle le règle sur vingt minutes et lit jusqu’à ce que la sonnerie retentisse. Un autre jour, c’est Seung-woo, réservé et caustique, qui est invité. «Pensez-vous que votre style vous ressemble ?» lui demande Yeong-ju, citant Níkos Kazantzákis. Seungwoo, un peu épris, relira Alexis Zorba pour leur prochain rendez-vous. •