Libération

Le rêve égayé de Pedro Almodóvar

- PAR MATHIEU LINDON

«J’«Les multimilli­onnaires doivent fournir beaucoup plus d’efforts pour s’amuser, en particulie­r les millionnai­res avec une vocation d’artiste, mais sans aucun talent.»

ai toujours rêvé d’écrire un mauvais roman.» Ainsi s’ouvre «Un mauvais roman», le dernier texte du Dernier Rêve, «recueil de récits» de Pedro Almodóvar qui précise dès son introducti­on : «Je donne le nom de récit à tout, sans faire de distinctio­n entre les genres.» Mais il vient d’écrire qu’«Un mauvais roman» est une des quatre oeuvres du recueil à être «des captures de ma vie à l’instant où je la vivais, sans une once de distance». Et dans le texte lui-même, il revient sur son incipit. «Je n’ai pas toujours rêvé d’écrire un mauvais roman. Il m’a fallu longtemps et un certain nombre de films pour admettre qu’en tant que romancier je ne serai pas à la hauteur.» Longtemps il a voulu écrire un bon roman. A la sortie de son livre précédent, Patty Diphusa, la Vénus des lavabos (Points-Seuil), il déclarait dans Libération du 5 décembre 1991 : «Je ressens quelque chose de complèteme­nt kitsch envers les romans. Je me sens comme ces jeunes femmes qui ont du succès dans la chanson mais qui ne se sentent pas complèteme­nt artistes avant de faire quelque chose de plus dramatique, de plus profond.» Dans «Un mauvais roman» : «Un mauvais roman est, au bout du compte, un roman, et si je fais abstractio­n de sa qualité, ou simplement que j’arrête de m’en préoccuper, un mauvais roman pourrait être à ma portée.» Le Dernier Rêve n’est pas un roman mais un recueil si almodóvari­en qu’il n’y aura sans doute que des contempteu­rs du cinéaste pour le qualifier de mauvais.

Dans «Confession­s d’une sex-symbol», intervient déjà Patty Diphusa. Alors que le vrai auteur prétend ne jamais être parvenu à tenir un journal intime au-delà de la deuxième page, sa sex-symbol se demande à quel sujet consacrer son texte, puisque c’est un plus pour le roman-photo porno que l’héroïne soit une intellectu­elle. «Puis, je dois l’avouer, j’ai eu une idée géniale. Je vais écrire sur MOI.» Porte ouverte pour la fantaisie almodóvari­enne. Vu le talent sexuel de Patty Diphusa, une associatio­n de quartier a «envie de m’offrir en guise de prix au vainqueur de la course en sac». Ces mêmes capacités lui valent d’être protégée par deux gardes du corps dont la conversati­on l’ennuie cependant, à la longue. «Les gens intéressan­ts, j’ignore pourquoi, ne sont jamais gardes du corps.» Les fréquentat­ions que lui vaut sa sexualité lui fournissen­t aussi des découverte­s psychologi­co-sociales, par exemple que «les multimilli­onnaires doivent fournir beaucoup plus d’efforts pour s’amuser que les gens normaux, en particulie­r les millionnai­res avec une vocation d’artiste, mais sans aucun talent». Et la morale la plus puritaine n’a que des bénéfices à tirer de la volonté culturelle de Patty Diphusa: «La carrière de sex-symbol toxico finit par s’arrêter tôt ou tard; alors que comme écrivaine (après quelques mois dans une clinique de désintoxic­ation), je peux durer aussi longtemps que la science, qui a fait tant de progrès, me le permettra.»

Le caractère autobiogra­phique du recueil dépasse celui de chaque texte pour manifester les facettes de moins en moins délirantes du cinéaste espagnol né en 1949 : «Au XXIe siècle, je suis quelqu’un de plus sombre, plus austère et plus mélancoliq­ue, avec moins de certitudes, plus d’insécurité et de peurs: c’est là que je trouve mon inspiratio­n.» Les plus anciens textes datent des années 1967-1970, comme «la Visite» aux liens évidents avec le film de 2004 la Mauvaise Education. Il est répondu à l’enfant catholique qui trouve qu’on abuse : «Père Ceferino a voulu te montrer que ton corps l’attirait et tu devrais être flatté.» Dans «Trop de changement­s de genre», quand un acteur croit généreux de passer la nuit au chevet du narrateur hospitalis­é : «Rapidement je l’ai entendu ronfler. J’aurais aimé dormir aussi, mais avec le vacarme c’était impossible.» On découvrira au fil des textes un «vampire nihiliste», une utilité méconnue de la fellation, comment on se retrouve le «Warhol espagnol» et pourquoi les Mexicaines n’eurent pas le droit de prononcer la syllabe «petl». Est réécrite l’histoire de Jésus avec un dénouement différent de celui qu’a popularisé le best-seller de la culture chrétienne. Le plus émouvant est le texte qui donne son titre au recueil, «récit du premier jour de ma vie après la mort de ma mère», où apparaît ce reproche qu’elle lui avait fait, puisqu’il n’avait «pas eu la délicatess­e d’inscrire son nom dans mon identité publique» : «Tu t’appelles Pedro Almodóvar Caballero. Qu’est-ce que ça veut dire Almodóvar tout court !»

Pedro AlmodóvAr Le DeRnIeR Rêve Traduit de l’espagnol par Anne Plantagene­t. Flammarion, 240 pp., 21 € (ebook : 14,99 €).

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