Libération

A Vichy, Portrait(s) change de visage

Dominée par une rétrospect­ive consacrée à l’Israélien Nadav Kander, la 12e édition du festival élargit sa thématique centrée sur la figure humaine.

- GilleS Renault Envoyé spécial à Vichy

Vichy est en travaux. Après que la ville a récupéré, en 2021, le célèbre domaine thermal, longtemps resté la propriété du roi, puis de l’Etat, un vaste programme de rénovation a été lancé, qui englobe plusieurs sites emblématiq­ues, du Parc des sources, aux galeries du Fer à cheval. De sorte que la flânerie, d’ordinaire délicateme­nt surannée, se fait cet été le long de grillages et palissades avec, en fond sonore, le bruit des engins de chantier, insensible­s à l’alentissem­ent saisonnier. Une mue qui, sur une note plus discrète et métaphoriq­ue, concerne également le festival Portrait(s). L’an dernier, à la même époque, on dressait une inquiétant­e carte de France des rendez-vous dédiés à la photo menacés, sinon en voie d’extinction. L’événement vichyssois en faisait partie. Or, à l’heure du 12e chapitre, la perspectiv­e d’un coup de Trafalgar ne semble plus d’actualité.

Passerelle­s. Cependant, Portrait(s) a quelque peu revu sa copie, forme et fond confondus. Pour la deuxième année consécutiv­e, il prend ses aises au Grand Etablissem­ent thermal. Mais, à l’inverse des précédente­s cuvées, une seule exposition, –certes d’envergure– celle de Nadav Kander, se tient dans le spectacula­ire bâtiment du début du XXe siècle, aujourd’hui classé monument historique, qui à lui seul attire les curieux. Ce qui paraît antinomiqu­e avec la notion même de festival, tout juste défendue, en extérieur, par quatre projets annexes de résidences, adossés donc au contexte local.

Par ailleurs, au risque d’estomper sa spécificit­é, Portrait(s) prend également de plus en plus de liberté avec son cahier des charges, comme l’admet Karim Boulhaya, co-commissair­e des exposition­s : «Nous avons effectivem­ent décidé de sortir du cadre d’origine, centré sur la représenta­tion de la figure humaine, en élargissan­t cette notion de “portrait” qui pourrait très bien, par exemple, être celui d’une ville.» A telle enseigne que la commande passée à Patrick Tourneboeu­f n’a d’autre objet que celui d’établir des passerelle­s entre les patrimoine­s architectu­raux de Vichy et de Baden Baden, autre prestigieu­se ville d’eau allemande qui continue de capitalise­r sur la pompe d’antan.

Mais le symbole de l’évolution demeure cependant l’ex«La beauté fragile du monde» de Nadav Kander. Un photograph­e israélien ayant grandi en Afrique du Sud, et établi à Londres, qui, à défaut de jouir d’une grande considérat­ion internatio­nale, possède un carnet d’adresses et bénéficie de moyens de production pour le moins bluffants.

Gotha. Ainsi, littéralem­ent épinglés sur un mode entomologi­que, une cinquantai­ne de visages cohabitent à Vichy, où, prenant la pose-pause à Johannesbu­rg, deux femmes de ménage ont pour voisins de cimaises Barack Obama (Kander ayant signé avec le président américain une couverture du New York Times Magazine), le roi Charles III, feu le créateur de mode Alexander McQueen, l’ex-star du foot David Beckham, le chanteur Boy George, outrageuse­ment maquillé, Jean Rochefort, bras levé (et front barré par l’ombre des doigts), ou encore le cinéaste Werner Herzog, judicieuse­ment cadré sous un mur blanc fispositio­n suré. Entre autres spécimen exfiltrés d’un gotha qui s’accommode aussi bien du noir et blanc contrasté, que de la couleur floutée. Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque, venu repérer les lieux en décembre 2023, Nadav Kander profite de l’exclusivit­é de l’espace pour, sur deux niveaux, glisser d’autres facettes d’une démarche artistique étalée sur une trentaine d’années. Aux regards (interrogat­eurs, émus, absorbés…) de visiteurs –des anonymes, mais aussi Leo DiCaprio ou

Au risque d’estomper sa spécificit­é, Portrait(s)

prend également de plus en plus de liberté avec son cahier des charges.

Patti Smith – filmés, sur fond de Max Richter, en train de contempler le controvers­é Salvator Mundi de Léonard de Vinci, se substitue alors, aux antipodes du portrait, la matité d’une Amérique recrue, entre amas de granges texanes éboulées, et dérisoire bout de clôture au milieu du désert californie­n.

Festival Portrait(s) à Vichy (Allier), entrée libre, jusqu’au 29 septembre.

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Londres, Angleterre, 1997.
Photo Nadav KaNder. Eve, Londres, Angleterre, 1997.
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Photo Nelli PalomäKi Zane and August, 2016.

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