Libération

«Les Anneaux de pouvoir» tournent en rond

Après une saison inaugurale moins magistrale qu’espérée, la série dérivée du «Seigneur des anneaux» sort un deuxième volet trop mou et dénué de souffle.

- MARIUS CHAPUIS

Le temps de ses deux premiers épisodes, les Anneaux de pouvoir a semblé être tout ce qu’elle ambitionna­it à devenir. Une série capable de rivaliser avec le cinéma, avec une densité des images, des cadres riches et profonds. Grand joyau de la couronne Prime, la série dérivée du Seigneur des anneaux devait devenir la tête de pont du streamer, un objet convoité au point de motiver des abonnement­s, de faire parler d’elle, et même capable d’humaniser l’un des hommes les plus riche du monde puisque derrière le fait du prince Bezos se cachait, nous disait-on, le rêve d’un simple fan énamouré de Tolkien prêt à donner un blancseing aux deux showrunner­s pour créer la meilleure série possible. On en pleurerait. Sauf que passé ces deux premiers chapitres (les seuls initialeme­nt montrés à la presse), le reste de la saison inaugurale était bien moins magistrale qu’espérée. L’image cinématogr­aphique sculptée par l’Espagnol Juan Antonio Bayona laissait place à quelque chose de plus banal et télévisuel une fois le cinéaste parti. L’ensemble étant certes rehaussé par des costumes ouvragés et une pluie d’effets numériques mais restait bien trop faible. La série pilotée par J.D. Payne et Patrick McKay ne raflait pas la moisson d’awards espérée. Pire encore, la presse américaine s’est mise à qualifier ce titanesque projet (dont le coût total est estimé à 1 milliard de dollars) de terrible bide lorsqu’elle a appris que seulement 37 % des spectateur­s avaient été au terme de la première saison. «Le genre de ratio qui justifie une annulation de série chez Netflix», commentait avec malice Forbes. Rien que la com ne puisse renverser : Prime parle de son côté de «succès sans précédent, avec plus de 100 millions de téléspecta­teurs à travers le monde».

Zélote. La saison 1, gigantesqu­e travail d’exposition de l’échiquier complexe du second âge des Terres du milieu (avant la trilogie de Peter Jackson, donc), culminait sur la révélation de l’identité de Sauron, roi de la perfidie caché en pleine vue parmi le casting. Cette nouvelle volée d’épisodes vise à installer le maître du mal en grand manipulate­ur, tissant sa toile autour des elfes, des nains et des humains pour se constituer une armée. La Terre du milieu a peur. Galadriel la zélote craint de devenir l’instrument de sa propre chute pour avoir frayé d’un peu trop près au côté du maître du mal. L’étrange Etranger magicien barbu qui se balade avec des hobbits est terrifié à l’idée de perdre la maîtrise de ses pouvoirs et d’arriver en retard pour le grand combat de son temps. Le nain Durin est pétrifié à l’idée de défier son père le roi engagé dans un pillage délétère des ressources…

Au coeur du bazar, à chaque fois, les anneaux forgés au compte-gouttes par Sauron, déguisé en aide de camp divin de Celebrimbo­r, grand maître artisan elfe (le personnage le plus étonnant de la série tant il est peu héroïque et ne se coule pas dans les moules fantasy d’habitude conviés sur écran). Mais en tentant d’embrasser le devenir de tous les peuples créés par Tolkien, la série ne crée pour seul axe clair le rabâchage des mêmes couplets sur l’hubris et l’avarice qui défont les alliances, affaibliss­ent l’esprit et les sociétés, avant que Sauron, rassurant, ne susurre qu’il n’a pour seule ambition de guérir le monde en lui offrant une paix éternelle et une stabilité institutio­nnelle infaillibl­e. Les rares tentatives de dire autre chose – sur l’esprit de chevalerie, la création qui dépasse son créateur ou la peur d’être trahi par son ambition – ne parviennen­t jamais à s’élever au-dessus du grand marigot mou et gris qu’est cette saison. Les panoramas de la saison 1 n’ont pas survécu à la relocalisa­tion du tournage de la Nouvelle-Zélande en Angleterre (dans les ex-studios de la Hammer). La majeure partie de ces huit nouveaux épisodes se déroulent en intérieur, dans des cadres étroits et sans souffle, systématiq­uement introduits par un plan aérien numérique en guise de «et pendant ce temps-là».

Grisaille. L’équipe en charge de la direction artistique et de la mise en scène, encadrée par la réalisatri­ce franco-suédoise Charlotte Brändström, couteau suisse de la télé passée par Julie Lescaut, Grey’s Anatomy et The Witcher, ne semble avoir pour seule ambition que de faire lisible. De la pure télé. L’image ne se distingue que le temps de quelques saillies kitschissi­mes (le «Jesus» Halbrand !) ou de naufrages complets comme cette scène de combat de nuit où des plans qui semblent arrachés aux Avengers sont engloutis dans la grisaille. Il faut attendre le crépuscule de la seconde saison pour que le très grand spectacle pointe enfin le bout de son nez, le temps d’une bataille d’envergure. Echo fantomatiq­ue des superprodu­ctions de Peter Jackson.

LES ANNEAUX DE POUVOIR

(saison 2), sur Prime.

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Photo Ben Rothstein. PRime Video Owain Arthur incarne le prince Durin, pétrifié à l’idée de défier son père, le roi qui pille les ressources.

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