Libération

Le cosmopolit­an, sex and the 90s

Au goût du jour d’avant (2/6) Toute la semaine, on revisite les mets devenus ringards. Aujourd’hui, le cocktail popularisé par la série «Sex and the City», tombé de son piédestal, et presque dans l’oubli.

- KIM HULLOT-GUIOT DEMAIN LE VELOURS DE BALSAMIQUE

De la vodka, du triple sec, du citron vert et du jus de cranberry, servis dans un verre à martini : le cosmopolit­an a été, dans l’imaginaire collectif des années 90-2000, le cocktail sexy par excellence. On n’emploie pas le mot «sexy» innocemmen­t : le «cosmo» a atteint le statut de quasiicône en figurant dans la série culte Sex and the City – diffusée par HBO aux Etats-Unis entre 1998 et 2004, et dans les années 2000 en France. «Quand on pense au cosmo, on pense à Sex and the City, mais ça me fait marrer parce que quand on est bartender on sait que, si on le fait bien, ça ne peut pas avoir la tronche que ça a à l’écran», s’amuse Margot Lecarpenti­er, fondatrice du bar Combat à Belleville

(Paris) et mixologue du groupe Alain Ducasse. «Le jus de cranberry, pour qu’il soit bon, il faut le prendre non filtré en magasin bio, ça ressemble à de la purée de betterave, pas à quelque chose qu’on met dans un cocktail rose et transparen­t», dit-elle.

Féminité. Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda, alors symboles des femmes puissantes et libres, en descendaie­nt pourtant tant à l’écran qu’il est probableme­nt l’un des premiers cocktails qu’on ait voulu goûter lorsque l’on a quitté le nid familial pour gagner la capitale au mitan des années 2000. Certes, on faisait partie de cette catégorie de la population qui n’avait jamais vraiment bu de cocktail, les mélanges de type coca et whisky ou rhum bas de gamme constituan­t jusqu’alors le summum de l’élaboratio­n de boisson mélangée. Cet élégant verre triangulai­re et à pied, qui obligeait à une ravissante cassure du poignet ou à déposer ses doigts délicateme­nt autour du verre pour le porter à la bouche, rempli d’un liquide rose orangé, nous semblait être le summum de la distinctio­n et de la féminité.

Car le cosmo était alors perçu comme une boisson hautement, voire exclusivem­ent féminine. Si vous commandiez un whisky sec et votre compagnon de libations un cosmo, il y avait au moins neuf chances et demie sur dix pour que vos boissons vous soient servies à l’envers. «La recette actuelle a été développée à la fin des années 80, soutenue par la marque Absolut qui vient de créer sa vodka citron. Certains pensent que le mérite revient à la bartender Cheryl Cook qui aurait imaginé ce twist plus sucré et fruité du martini pour toucher les femmes, relate le site La boîte à cocktails. D’autres estiment que c’est Toby Cecchini qui l’a popularisé en revisitant un classique des bars gays de San Francisco – vodka, jus de citron et grenadine.»

Mais que s’est-il passé pour que le cosmo soit qualifié de «classique» voir «mythique»… et tombe trente ans plus tard quasiment dans les oubliettes de l’histoire du mixed drink ? «Le cosmo est emblématiq­ue des années 90, on utilisait alors des ingrédient­s de très mauvaise qualité dans les cocktails, avance Margot Lecarpenti­er. Ça donnait des boissons très sucrées, les gens se sont lassés et sont devenus plus exigeants.» Le pullulemen­t des bars à cocktails et autres speakeasy dans les années 20002010, utilisant des ingrédient­s plus soigneusem­ent sélectionn­és, a participé à affiner les palais. Lesquels ont bien fini par se rendre compte qu’à moins de souffrir d’une infection urinaire (la consommati­on de jus de cranberry est alors recommandé­e), il était grand temps de laisser le cosmo à sa place, c’est-à-dire dans son écran de télé…

Come-back. Pourtant, les modes étant un éternel recommence­ment, Margot Lecarpenti­er prédit le comeback du cosmo, à la faveur de la remontée de hype de l’esthétique des années 90. «Pendant longtemps, c’était ultra-kitsch mais le cosmo ne peut que revenir, comme l’espresso martini qui explose en ce moment.» Au printemps, elle a tenu durant trois mois un pop-up au Meurice, un palace parisien, où elle a réimaginé le cosmo, version années 2020. «C’est peut-être parce que c’est mon préféré, mais ça a été mon best-seller.» D’aspect, il ressemblai­t au cocktail palot de la série mais dans «un goût décalé, avec une signature amère à base de safran, raisin, gin, saké, liqueur de prune umeshu, un peu d’absinthe, du Campari, de l’Aperol, du vinaigre de fleur et du verjus de raisin. Quand on le boit on retrouve ce côté bonbon acidulé mais avec un côté plus confit, plus dans l’infusion. Là où il y avait un aspect un peu artificiel j’ai travaillé sur l’acidulé et le côté confit. C’est mon préféré, quand je le vends ça fait de l’effet aux gens.» De quoi donner l’espoir à tous les recalés de l’histoire du cocktail de revenir, un jour, en haut de l’affiche.

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PHoto B. Holden. Getty ImaGes. Dans les années 90, le cosmo était le cocktail sexy par excellence.

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