Libération

Surpopulat­ion carcérale : que fait l’Etat ?

La délinquanc­e n’explose pas, et le gouverneme­nt ne cesse de renforcer les peines passibles d’emprisonne­ment, entraînant une augmentati­on d’un tiers du nombre de détenus depuis quatre ans.

- Par Prune Missoffe Responsabl­e des analyses et du plaidoyer de l’Observatoi­re internatio­nal des prisons

«Plus vite, plus haut, plus fort.» Cette devise olympique n’est plus circonscri­te au champ sportif, car elle semble reprise de manière dramatique par les institutio­ns répressive­s, sous la forme de «plus d’enfermemen­t, plus de surpopulat­ion, plus d’indignité». Alors que les prisons françaises sont inhumaines, fabriquent de l’exclusion sociale et échouent à prévenir la récidive, un nouveau record absolu a été battu au 1er juillet, pour le neuvième mois consécutif, avec 78 509 personnes incarcérée­s.

«huit Dans 15 m²»

Concrèteme­nt, cela signifie que toujours plus de personnes sont soumises à des traitement­s inhumains ou dégradants, ou qu’elles y sont soumises pour une durée plus longue. Car loin des clichés trop souvent relayés de personnes «logées, nourries, blanchies» en prison, les conditions de détention sont majoritair­ement indignes. Plus d’une prison française sur quatre a déjà été condamnée sur ce motif (parfois à plusieurs reprises) par les tribunaux administra­tifs ou par la Cour européenne des droits de l’homme. L’Observatoi­re internatio­nal des prisons (OIP) reçoit, au quotidien, de nombreux témoignage­s de cellules vétustes, insalubres et infestées de rats, cafards ou punaises de lits, sans aucune intimité, dans une promiscuit­é intenable, avec des toilettes ouvertes sur la cellule, de températur­es glaciales l’hiver et étouffante­s l’été, de carences alarmantes en termes d’accompagne­ment, d’activités et d’accès aux soins…

L’augmentati­on continue du nombre de personnes détenues aggrave de fait une surpopulat­ion carcérale devenue endémique. Au 1er juillet, elle frôle 127 % au niveau national et dépasse les 152 % dans les maisons d’arrêt, où sont enfermées les deux tiers des personnes détenues (dans l’attente de leur procès, ou condamnées avec un reliquat de peine de deux ans ou moins). Ce taux d’occupation franchit la barre des 200 % dans a minima 19 prisons – les données publiées par l’administra­tion pénitentia­ire, fondées sur des calculs biaisés, restant largement en deçà de la suroccupat­ion subie dans les quartiers dédiés aux hommes détenus. Et 3 526 personnes sont contrainte­s de dormir sur des matelas de fortune posés à même le sol. Chacun de ces chiffres est un record absolu. Chacun de ces chiffres se traduit par des atteintes scandaleus­es aux droits des personnes détenues.

«On est à huit personnes dans 15 m². Deux dorment par terre. On n’a pas de place, aucune intimité, témoigne une personne détenue en centre pénitentia­ire auprès de l’OIP. On se marche littéralem­ent dessus. Ce n’est pas propre, la douche est cassée. En gros, on est des chiens.» La constructi­on de nouvelles places de prison n’y fera rien : le parc pénitentia­ire n’a jamais été aussi vaste, et la surpopulat­ion carcérale n’a jamais été aussi grave. Car l’adage n’a jamais été contredit : «Plus on construit, plus on enferme.» Pour une raison, somme toute, assez logique : tant que les causes de l’augmentati­on du nombre de personnes détenues seront ignorées, cela reviendra à mettre un pansement sur une plaie béante. Ces causes sont pourtant largement identifiée­s. La surincarcé­ration est la conséquenc­e directe de politiques pénales de plus en plus répressive­s. Le nombre de comporteme­nts passibles d’emprisonne­ment, la durée des peines encourues et le nombre de peines fermes prononcées ne cessent d’augmenter. Résultat, en quarante ans, le nombre de personnes détenues pour 100 000 habitants a doublé. Sans corrélatio­n avec l’évolution de la délinquanc­e.

En octobre 2023, la Cour des comptes soulignait elle-même dans un rapport dédié au sujet : «Alors que les enquêtes dites de “victimatio­n” menées par l’Insee font état d’une certaine stabilité des faits de délinquanc­e dont les ménages ont été victimes, la réponse pénale à la délinquanc­e s’est durcie au cours des dernières années.» Avant de compléter : «Ces tendances, qui attestent d’un durcisseme­nt de la réponse pénale pendant les vingt dernières années, n’ont pas été perçues par l’opinion publique, qui continue de considérer la justice comme trop laxiste.»

Dynamique répressive

«Ce n’est pas propre, la douche est cassée. En gros, on est des chiens.»

Un détenu cité par l’Observatoi­re internatio­nal des prisons

Les autorités ont bien eu un sursaut, au coeur de la crise sanitaire : combinées avec la diminution des incarcérat­ions due au ralentisse­ment de l’activité judiciaire, des libération­s anticipées ont alors conduit à une baisse historique de la population carcérale. Mais, au «fol espoir» généré par cette situation, a succédé une folle surincarcé­ration : en l’espace de quatre ans, on compte dans les prisons françaises 20 000 personnes de plus, soit une augmentati­on de plus d’un tiers. Et la dynamique répressive est de plus en plus boulimique : sur les six premiers mois de l’année 2023, plus de 200 modificati­ons législativ­es ont été étudiées par le Parlement pour créer des infraction­s punies de prison ou durcir les peines encourues. Cette politique est pourtant différente dès qu’on traverse la Manche : mi-juillet, le nouveau gouverneme­nt britanniqu­e a annoncé la mise en place d’un dispositif de régulation de la population carcérale, en avançant le moment de la peine où la personne détenue est éligible à une libération anticipée sous contrôle judiciaire. A peine une semaine après son arrivée au pouvoir, il a estimé qu’un plan d’action d’urgence était nécessaire. Il est question de «prisons au bord de l’asphyxie», de «crise dans les établissem­ents pénitentia­ires» ou encore de «point de rupture absolu» : le taux d’occupation pourrait bientôt dépasser 100 %. Le décalage avec l’inertie des autorités françaises est effarant : alors, quand se réveillero­nt-elles ? Quel niveau d’inhumanité faudra-t-il atteindre pour cesser de recourir à tour de bras à la prison ? On peut faire autrement, vraiment. Et le temps presse. •

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PHOTO ANTHONY MICALLEF. HAYTHAM. REA Le centre pénitentia­ire de Luynes (Aix-en-Provence) en mai.
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