Libération

Une aura jusqu’en Asie

Imité voire convoité, l’acteur fait l’objet d’innombrabl­es références dans le cinéma asiatique.

- LÉO SOESANTO

«Si le Japonais avait eu la chance d’être blanc, il aurait ressemblé à Alain Delon», déclarait Alain Delon au journal de France 2 en avril 1996. L’aura de Delon en Asie aura fait se pâmer les fans là-bas, inspiré une marque de cigarettes, mais a-t-elle nourri des cinéastes? Bloc de charisme marmoréen mutique, le «samouraï» y est à la fois une exception française et un produit asiatique livré clé en main. Populaire au Japon dès les années 60, la star est comparée pour son jeu à des acteurs de kabuki –l’une des formes du théâtre traditionn­el nippon. «Un peu loser» aussi, déclarait Yoshi Yatabe, ex-programmat­eur au Festival internatio­nal du film de Tokyo, parce que «ce côté sombre a vraiment plu aux spectateur­s japonais, qui préfèrent encourager les perdants» (l’interprète du Battant aurait apprécié). Mais pas touche à Delon dieu vivant.

Trench-coat. Dans Soleil rouge (1971), c’est donc presque un honneur pour Toshiro Mifune, l’icône du cinéma japonais, d’être abattu par Delon en personne. Non, l’hommage le plus ambivalent à l’acteur dans la production culturelle japonaise reste le manga Cobra, où le héros, trop beau, trop reconnaiss­able, ressemble beaucoup à Delon, mais, pour échapper à ses ennemis, subit une opération qui le fait ressembler à… Belmondo. C’est à Hongkong, terreau plus propice au trafic culturel, que l’adoration de Delon suscite l’action et une envie d’échange. Traumatisé par le cinéma de Jean-Pierre Melville, John Woo pare son héros Chow Yun-Fat, dans le Syndicat du crime (1986), de l’uniforme de Delon porté dans le Samouraï : un trenchcoat, avec, au cas où cela ne suffisait pas, une paire de lunettes de soleil de la marque Alain Delon sur le nez. Selon la légende, le succès du film fera grimper les ventes de l’accessoire à Hongkong.

Equivalent. Sans imper, Chow se «delonise» à nouveau pour Woo dans The Killer (1989) puis laisse l’honneur à Tony Leung dans le pétaradant A toute épreuve (1992): Leung, fan de Delon dont il allait voir les films étant enfant, réussit davantage que Chow à émuler cette même force tranquille et mélancoliq­ue sans aucun postiche. Ailleurs, mettez un Leung langoureux, clope en bouche, chez Wong Karwai, en marcel dans Chungking Express (1994) ou en cravate dans In the Mood for Love (2000), et vous avez un équivalent oriental crédible du comédien au glamour gominé de Plein Soleil.

Il faut attendre Johnnie To, une décennie plus tard, pour qu’un cinéaste hongkongai­s ose essayer d’importer Delon. Le cinéaste pense à lui pour son premier film en langue anglaise, Vengeance (2009), où il aurait joué un ancien tueur nommé Costello (comme dans le Samouraï), en proie à une amnésie handicapan­te pour son projet de venger sa fille. Jouer les lions blessés, oui ; faire le poisson rouge, non. Delon se désiste et c’est une autre exception française, Johnny Hallyday, qui hérite du rôle. L’ultime rendez-vous manqué avec le cinéma asiatique, comme si admirer la bête de loin était le seul plaisir autorisé.

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PHOTO12. ALAMY. MOVIESTORE COLLECTION LTD The Killer (1989).

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