Libération

Elle matchait avec les people

Dany Jucaud L’ex-journalist­e a rencontré pour «Paris Match» tout ce que Hollywood compte de stars.

- Par Luc Le VaiLLant Photo iouLex

Le rendez-vous est fixé au premier étage du Café de Flore. On rejoint Dany Jucaud, en négligeant la file d’attente née de la série Emily in Paris, qui voit l’Amérique patienter à l’extérieur quand il s’agit de leur brûler la politesse pour rejoindre des hauteurs où veille le souvenir antédiluvi­en de Sartre et de Beauvoir. Celle qui fut envoyée spéciale permanente à Hollywood pour le Paris Match d’avant Bolloré a toujours eu l’habileté de prendre pension dans des cantines chics qui lui permettaie­nt d’être à tu et à toi avec les célèbres, de nouer des liens informels et de tisser son réseau personnel. A Los Angeles, c’était à Ma maison. A New York, chez Elaine. Et pendant le Festival de Cannes, cela se passait devant une pizza aux truffes chez Mamo à Antibes. Dany Jucaud, 73 ans, a toujours eu une relation proche et distanciée, complice et dessillée, avec les people qui ont fait l’ordinaire de sa vie profession­nelle. Elle a vite pris la mesure de sa fonction : approcher au plus près les stars américaine­s, les faire parler de leur intimité familiale et amoureuse sans les brusquer, les provoquer, ni les vexer. Elle savait beaucoup, mais ne disait pas tout afin de pouvoir les revoir en confiance. Elle détaillait la comédie des apparences avec une moue aussi amusée que désabusée. Ni commère ni vipère, elle était trop avertie de la nature humaine pour virer groupie. Elle remarque : «Je n’étais ni admirative, ni fan, ni éblouie.» Elle n’a jamais souhaité passer de l’autre côté de la rampe, sachant qu’on s’y brûle les ailes même si elle a souvent pris ses quartiers dans les coulisses où végètent les profiteurs et où vagissent les wanna be.

On est à la fin des années 70. Dany Jucaud, qui a fait des études de lettres, s’est retrouvée un peu par hasard assistante monteuse sur le film érotique Emmanuelle. Elle n’a jamais particuliè­rement voulu devenir journalist­e et n’a qu’une vague idée de l’institutio­n glorieuse et dispendieu­se que représente alors Paris Match. Mais elle a le sens du relationne­l, aime la belle vie et sait forcer sa chance. Elle propose une pige à Match pour pouvoir se payer un billet d’avion pour Los Angeles où son amant romancier la rejoindra bientôt et où elle résidera des années durant.

Son carnet de bal est assez époustoufl­ant, et la liste qui va suivre pourrait s’apparenter à un générique fastueux comme à un name dropping fastidieux, même si les relations nouées sont de natures diverses. Son arrivée à Hollywood est facilitée par Anne-Marie Rassam, la femme du producteur Claude Berri, mais aussi par Carole Bouquet et Jacqueline Bisset qui, avec constance, lui souhaite toujours son anniversai­re. Elle débute en échangeant une recette de pâtes au citron avec Francis Ford Coppola. Elle croise Jack Nicholson, Marlon Brando et Warren Beatty qui ne cessera de lui demander des nouvelles d’Isabelle Adjani. Les légendes de l’âge d’or de Hollywood sont encore de saison. Elle note la duplicité de Robert Mitchum, aussi colérique et rustre au premier abord que brillant et blagueur par la suite. Elle salue la vitalité sans fard de Katharine Hepburn. Elle pourrait aussi parler de Kim Novak, de James Stewart ou de Barbra Streisand. Mais Dany Jucaud a fait ce métier pour ne pas avoir à retourner sur ses pas et pour que toujours demain efface hier. Elle n’aurait jamais publié ses mémoires sans l’insistance de l’une de ses jeunes consoeurs, Aurélie Raya, qui trouvait dommage de laisser partir au fil de l’eau tant de souvenirs que la plus ancienne laissait volontiers sombrer sans plus d’angoisse. Cette dernière relativise : «On est tout petit. On ne change pas le monde.» Et insiste : «Je sais ce qui est sérieux et ce qui ne l’est pas.»

Le sens de la proximité comme le talent pour s’incruster dans des univers réservés sont des qualités nécessaire­s à ce genre d’activité. Et tant pis pour ceux qui hurlent au conflit d’intérêts et au mélange des genres. Dany Jucaud sait faire la différence «entre relations et amis», mais se réjouit d’avoir été proche de quelques-uns des monstres sacrés d’une époque révolue. Mi-fille adoptive, mi-invitée permanente, elle fut une intime de Kirk Douglas comme de Sean Connery. Malgré leurs disparitio­ns, elle est restée proche de leurs familles. Avec

Sharon Stone, les relations furent plus compliquée­s.

Dany Jucaud a assisté à l’arrivée en gloire de celle qui a tout fait pour ne pas rester une starlette négligée. Elle en dit : «Sharon était forte et dure. Elle était prête à faire payer ceux qui n’avaient pas cru en elle. Elle tenait sa revanche.» Elles passaient des vacances ensemble. Elles se sont brouillées pour des broutilles, tant le vedettaria­t génère des phénomènes de cour, les premiers cercles évinçant les irrégulièr­es qui ne sont pas dans l’adulation absolue.

Côté français, Dany Jucaud garde un accès privilégié à Catherine Deneuve. Et celle qui fut très copine avec Nathalie Delon qu’elle voyait un peu comme sa jumelle regrette «l’époque des Delon et Belmondo» qui mettaient en scène leur vie privée, qui fabulaient leurs joies et peines sur le papier glacé des gazettes validées. Elle se sent moins attirée par la génération Guillaume Canet et Marion Cotillard, «moins fascinante, moins généreuse, plus prudente». Et elle évalue parfaiteme­nt la mutation en cours et combien les réseaux sociaux signent la fin des médiateurs de presse et permettent aux connus de s’auto-célébrer à leur guise au risque du retour de bâton. Sa mère tenait un magasin de vêtements à Nice. Son père faisait des affaires qu’elle peine à définir, de l’immobilier peutêtre, à moins que ce ne soit moins avouable. Fille de divorcés, Dany Jucaud a tranché des questions majeures très tôt. A 14 ans déjà, elle ne voulait pas d’enfants. Comme elle l’avait décidée adolescent­e, elle ne s’est jamais mariée, mais vit une passion récente et épanouie avec un éditeur et analyste parisien. D’origine juive, elle se définit comme «hyperathée» et dit avoir réglé précocemen­t «le problème métaphysiq­ue». Elle avait peu de conscience politique à l’origine. Et puis, dit-elle : «J’ai réalisé qu’il y avait d’autres gens que moi sur la planète.» Elle vomit Trump et chérit Clooney qu’elle décrit «intelligen­t, altruiste et plein d’humour, surtout sur lui-même, la moindre des politesses». Elle voterait démocrate aux Etats-Unis et se situe au centre gauche en France. Devant le mouvement #MeToo, elle est partagée entre soutien de principe et prudence devant les excès déclenchés. Elle se souvient comment Harvey Weinstein, croisé de loin, était «un type épouvantab­le, détesté et craint, mais profession­nellement respecté par le monde du cinéma». Celle qu’amusait la méchanceté de Mme Claude, mère maquerelle de luxe, et qui supporte mal que la communican­te «Mimi» Marchand contrôle l’accès à ses protégés, se serait bien vue entremette­use ou détective. A défaut, elle a été journalist­e. Ce qui, dit-elle, est un «état d’esprit» et nécessite «charme et humour».

Leur métier les a amenés à côtoyer et à épauler des célébrités, françaises ou internatio­nales. Libération a souhaité mettre en lumière ces inconnus du grand public à qui la discrétion ne pèse pas.

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