Libération

En verre et contre tout La jeune fille de Murano de Tracy Chevalier

- Par CLaire Devarrieux

Les perles ont toujours réussi à Tracy Chevalier, née en 1962 aux Etats-Unis et installée depuis quarante ans en Angleterre. La Jeune Fille à la perle (1999) s’est vendu à plus de cinq millions d’exemplaire­s, indique l’éditeur, et a bénéficié de 45 traduction­s. C’était son deuxième roman, inspiré de Vermeer. Sorti fin mai, le onzième, la Fileuse de verre, qui traite de la fabricatio­n des perles de verre, n’est sans doute pas parti pour rejoindre pareils sommets mais il a navigué tout l’été autour de la treizième place dans les librairies indépendan­tes, solide vaporetto destiné à durer. Nous sommes à Venise.

Plus exactement, cela se passe à Murano, et quand on est une petite Muranaise, on ne s’aventure pas comme on veut sur les canaux de la grande ville. Orsola Rosso est une enfant puis très vite elle a 17 ans, son père meurt, et l’atelier Rosso, longtemps fameux parmi les verriers, commence à péricliter. A la demande de sa mère, devenue cheffe de famille, Orsola prend conseil auprès de Maria Barovier, personnage qui a réellement existé. Elle était la seule femme à travailler le verre. Tracy Chevalier s’est beaucoup documentée pour écrire ce roman. Elle a même mis la main à la pâte.

1 L’adversité a-telle un visage ?

Orsola est à peine mieux considérée qu’une domestique. Elle fait le ménage, les repas, s’occupe du linge. Au fur et à mesure que les enfants naissent, les couches s’accumulent. Orsola préférerai­t rejoindre ses frères près du four plutôt que de s’épuiser au service de leur famille. Bientôt, la cuisine devient pourtant sa pièce préférée car c’est là qu’elle confection­ne ses perles. Une cousine de Maria Barovier lui a enseigné le métier. Son frère Marco, un hâbleur devenu le responsabl­e de l’atelier, s’est toujours moqué d’elle. Il continue. A ses yeux, les perles de sa soeur sont «des crottes de souris». Naturellem­ent, c’est de Marco qu’Orsola veut obtenir la reconnaiss­ance de son talent. Elle l’aura. Mais à cause de lui, elle est contrainte d’épouser un homme qu’elle n’aime pas, tandis que le bel Antonio son amant fuit sur la terraferma.

2 Que

voit-on ?

Une lampe, un bloc de suif (qui pue), une tige en fer, une baguette de verre, un soufflet pour attiser la flamme de manière à ce que le verre fonde. On enroule le verre fondu autour de la tige. Ensuite, eh bien il y aura des perles, plein de perles, de plus en plus audacieuse­s, ou au contraire, mécaniques. Certains lisent pour apprendre, d’autres ont horreur de ça. La romancière réconcilie tout le monde avec l’évocation des objets, par exemple des coupes décorées, certaines permettant même de boire dedans. Nul besoin de comprendre comment elles sont faites.

3 Où est la vraie

perle ?

La forme du livre: une perle en soi, une pépite, une trouvaille en tous les cas. Tracy Chevalier conserve la même héroïne. Orsola a 9 ans en 1486, elle en a 70 quand le roman s’achève. Elle a un téléphone portable et le Covid sévit. Simplement, il s’est passé cinq cents ans dans la vraie vie. Nous voyons les Rosso affronter la peste en 1575 et Orsola fabriquer un collier pour Joséphine en 1797. La fileuse de verre, qui a su traiter avec les négociants, s’occupe d’écouler sa production et profite de la réputation touristiqu­e de Venise.

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LA FiLEuSE dE VERRE Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff. La Table ronde
«Quai Voltaire», 444 pp., 24,80 € (ebook : 17,99 €).
TraCy ChevalIer LA FiLEuSE dE VERRE Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff. La Table ronde «Quai Voltaire», 444 pp., 24,80 € (ebook : 17,99 €).

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