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«La passion ne suffit plus pour accepter tous les sacrifices»

Pour le sociologue François Purseigle, la possibilit­é de prendre des congés est un des impératifs pour «rompre avec le malaise agricole».

- Recueilli par C.Pi.

Même si l’été n’est pas d’ordinaire synonyme de mise sur pause de l’activité, les jeunes agriculteu­rs sont de plus en plus nombreux à décider de prendre des vacances. Ils ont davantage recours aux services de remplaceme­nt, une solution notamment pour conquérir une «certaine forme de parité» avec les autres travailleu­rs de leur génération, explique à Libération le sociologue des mondes agricoles François Purseigle, professeur à l’Ecole nationale supérieure agronomiqu­e de Toulouse (Agro Toulouse).

L’existence des services de remplaceme­nt est-elle un frein en moins pour les jeunes agriculteu­rs qui souhaitaie­nt s’installer ?

Les vacances sont dorénavant un facteur central de négociatio­n au moment de l’installati­on et lors de l’accès à la profession. Aujourd’hui, peu d’agriculteu­rs s’installent seuls. Et si l’on fait le choix d’entrer dans ce métier, on va d’abord négocier avec ses associés afin de pouvoir partir régulièrem­ent en vacances, service de remplaceme­nt présent sur place ou non. Ce dispositif a permis aux agriculteu­rs de conquérir une certaine forme de parité sociale. Car pendant très longtemps, les exploitant­s ont été en marge de la société au regard de leur incapacité à prendre des vacances.

Certains agriculteu­rs nous ont dit qu’il existait une forme de

autour des vacances…

«tabou»

Malgré cette volonté d’être remplacés, il est toujours difficile pour certains agriculteu­rs, et notamment certains éleveurs, de lâcher un troupeau de vaches auquel ils tiennent. Ils sont pris dans une tension entre quête de parité et attachemen­t viscéral à leur exploitati­on, dans laquelle se mêlent vie privée et vie profession­nelle. Aussi, dans l’inconscien­t collectif, pour être un bon agriculteu­r, il ne faut pas lâcher son troupeau. Il faudrait se sacrifier ad vitam aeternam. Mais les enfants d’agriculteu­rs eux-mêmes ne veulent plus de ce modèle : c’est cet aspect qui constitue un élément d’affronteme­nt entre les génération­s.

Qu’est-ce qui explique cette bascule génération­nelle ?

La plupart de ceux qui reprennent aujourd’hui une exploitati­on sont passés par la case du salariat, et donc par les congés. C’est cet aspect qui change la donne. La nouvelle génération d’exploitant­s évolue aussi dans une société où elle est en minorité, et dans laquelle elle se compare à d’autres de sa génération. Et c’est dans cette comparaiso­n avec d’autres catégories socioprofe­ssionnelle­s que se construit le malaise agricole : le fait de ne pas pouvoir prendre de vacances va de pair avec le fait de ne pas pouvoir avoir un revenu digne. Les agriculteu­rs aiment leur métier, mais cette passion ne suffit plus pour accepter tous les sacrifices. La coexistenc­e entre vie profession­nelle et vie familiale est de plus en plus difficile pour la nouvelle génération. Elle a davantage envie de cloisonner les choses. Cette capacité à donner à voir une profession dans laquelle on peut s’arrêter de temps en temps est d’autant plus importante si l’on veut qu’il y ait un renouvelle­ment des génération­s. Le métier doit se départir de son image d’enfermemen­t et doit banaliser la possibilit­é de vivre tel un salarié. Tout ce qui participe à une ouverture sera utile en termes d’attractivi­té du métier.

Malgré l’existence des services de remplaceme­nt, existe-t-il toujours des freins à ce droit aux congés aujourd’hui ?

Dans certains départemen­ts, tous ne réussissen­t pas à trouver une main-d’oeuvre compétente et en nombre suffisant pour pouvoir les remplacer. Les services de remplaceme­nt font eux aussi face à des difficulté­s de recrutemen­t. A l’échelle de certaines régions, la Mutualité sociale agricole soutient des éleveurs en difficulté pour qu’ils prennent des vacances. Mais si l’on veut développer le nombre d’agriculteu­rs sur le territoire, aujourd’hui confronté à un mur [un agriculteu­r sur deux sera en âge de partir à la retraite d’ici à 2030, ndlr], il faut que tous les pouvoirs publics s’en donnent les moyens et multiplien­t les mesures incitative­s et des dispositif­s de prise en charge.

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