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Fierté LGBT+ : aime-toi, l’arc-en-ciel t’aidera

Nuances de luttes (5/6) Les couleurs ont imprégné les combats politiques et sociaux. Aujourd’hui, l’emblème né dans les années 70 de la communauté lesbienne, gay, bi, trans et plus.

- MARLÈNE THOMAS DEMAIN LE VIOLET

Il se pose délicateme­nt sur les épaules lors des Prides partout dans le monde, constelle certains passages piétons, submerge la place historique du Stonewall Inn à New York… Le drapeau arc-en-ciel est devenu en une quarantain­e d’années indissocia­ble de la communauté queer. C’est en Californie, en 1978, que l’artiste et militant gay Gilbert Baker l’a créé, à l’occasion de la journée de fierté homosexuel­le de San Francisco, qui a inspiré les futures Marches des fiertés. L’arc-en-ciel se compose à l’origine de huit bandes de couleur à laquelle l’ancien soldat, décédé en 2017, attache à chacune une symbolique: le rose pour la sexualité, le rouge pour la vie, l’orange pour la guérison, le jaune pour le soleil, le vert pour la nature, l’indigo pour l’harmonie, le bleu pour l’art et le violet pour l’esprit humain. Quelques semaines plus tard, afin de faciliter sa commercial­isation, Gilbert Baker retire le rose plus difficile à produire. Par la suite, l’indigo est lui aussi ôté afin d’obtenir un nombre pair de couleurs.

Hommage. «Utiliser un phénomène naturel pour représente­r notre sexualité et les droits humains me plaisait», avait expliqué l’artiste à la radio Free Europe-Radio Liberty en 2013. Cette accumulati­on de couleurs figurait aussi pour lui l’idée «d’inclusion». «Auparavant, l’arc-enciel était un drapeau de paix, de concorde, assez banalement. Dans la religion, c’est l’arc divin, l’alliance entre Dieu et les hommes», explique l’historien Michel Pastoureau. Le chercheur spécialist­e des couleurs salue ce choix de symbole : «Il réunit des personnes et des groupement­s non identiques au départ, mais plus fortes réunies.» Quelques jours avant la manifestat­ion de San Francisco, la province de Cuzco au Pérou avait fait adopter un drapeau à huit bandes fort similaire, ce qui avait provoqué au début des années 2000 des accusation­s d’appropriat­ion culturelle.

Le militant américain se serait aussi inspiré de la chanson Over the Rainbow, interprété­e par Judy Garland dans le Magicien d’Oz, icône de la communauté gay. Le 27 novembre 1978, Harvey Milk, militant et premier politicien ouvertemen­t gay élu aux Etats-Unis, est assassiné par un ancien conseiller municipal conservate­ur. Le «rainbow flag» occupe une place importante dans le défilé d’hommage et gagne en visibilité. Il s’est depuis décliné en plusieurs versions, afin notamment d’y ajouter les couleurs de celui de la communauté trans (rose, bleu et blanc) et pour y inclure la lutte antiracist­e (deux bandes noire et marron). L’historien américain Clive Moore rappelait en 2001 dans son ouvrage Sunshine and Rainbows que «les couleurs vives ont toujours été des formes d’identifica­tion homosexuel­le». L’oeillet vert que le dramaturge irlandais Oscar Wilde, condamné pour homosexual­ité, portait à la boutonnièr­e de sa veste aurait, par exemple, été utilisé de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle par les Londoniens et les Parisiens pour se signaler discrèteme­nt. Dans sa revue de l’ouvrage de Clive Moore, qui porte sur la culture gay et lesbienne au Queensland en Australie, l’historienn­e Libby Connors raconte que «si vous cherchiez à attirer l’attention des personnes de même sexe, il suffisait bien souvent de porter une paire de chaussette­s jaune vif.»

Héritage. Le triangle rose que les homosexuel­s étaient contraints de porter dans les camps de concentrat­ion nazis a aussi été récupéré par une partie de la communauté LGBT+, comme l’associatio­n de lutte contre le VIH-Sida Act Up, dans une forme de réappropri­ation, créant certaines dissension­s. «Cette idée de couleur vive n’était efficace et pertinente qu’à une époque où les couleurs vives étaient rares dans la vie quotidienn­e», pointe Michel Pastoureau. Même si aujourd’hui le quotidien est moins terne, le drapeau arcen-ciel, en associant six couleurs vives, s’efforce d’une certaine manière de faire perdurer cet héritage, en le démultipli­ant.

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Photo Anthony BehAr. SIPA Le rainbow flag était à l’origine composé de huit teintes.

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