Eté comme hiver, le massif du Mont-Blanc s’effrite inexorablement nd
Plusieurs éboulements rocheux sont venus rappeler ces derniers jours que les risques se multiplient en montagne sous l’effet du changement climatique.
Un Français tué, deux Allemands disparus encore recherchés et quatre autres alpinistes gravement blessés. La très prisée ascension du mont Blanc du Tacul, sommet de Haute-Savoie à 4 200 mètres d’altitude voisin du mont Blanc, a connu un nouvel accident mortel lundi tôt le matin. Le drame a été causé par une chute de sérac, un morceau de glacier qui s’est détaché et qui, du fait de la pente, a dégringolé sur le versant nord. Un lieu connu pour sa dangerosité. «Il y a déjà eu plusieurs fois des blessés et des morts à cet endroit-là. Les chutes de sérac sont liées à l’écoulement naturel du glacier, qui se déforme. Elles sont régulières, peuvent se produire de jour comme de nuit, été comme hiver, et engendrer des avalanches, indique le glaciologue Antoine Rabatel, de l’Institut des géosciences et de l’environnement à Grenoble. C’est un peu la roulette russe.»
Dans cette zone, le changement climatique n’a pas d’incidence, car la glace reste particulièrement froide à cette altitude. «Ce phénomène glaciaire est indépendant des températures. On a en moyenne chaque année six à huit déstabilisations de ce type à cet endroit-là, sur cette face, au niveau de l’itinéraire qui a été emprunté. L’accident est lié à l’activité tout à fait normale du glacier», confirme le géomorphologue Ludovic Ravanel, directeur de recherche au CNRS. Alors comment anticiper ce type d’événements ? «Le risque est moins présent dans les jours qui suivent une chute, car il faut que le glacier avance à nouveau pour que de la glace tombe», précise Antoine Rabatel.
Eau de fonte. Ailleurs, dans cette chaîne très fréquentée par les alpinistes, les chutes de sérac pourraient être accélérées par le changement climatique et donc encore plus redoutables. Cela se produit lorsque le glacier change de «régime thermique», note Antoine Rabatel. Car si la glace, d’une température négative, approche le seuil de zéro degré, l’eau de fonte peut s’infiltrer jusqu’au socle rocheux; la masse glacée glisse davantage et cela accélère les chutes de sérac. «Dans le massif du Mont-Blanc, c’est, par exemple, ce que l’on craint pour le glacier de Taconnaz, à environ 3 300 mètres d’altitude, décrit le glaciologue. Sa température a augmenté au cours des dernières décennies et, à certains endroits, la glace n’est plus qu’à -2°C ou -1°C. Dans les prochaines décennies, une déstabilisation pourrait conduire à une très grosse avalanche de glace. Ce type d’événement s’est déjà produit en Suisse sur le glacier du Weissmies en 2017 et dans l’Himalaya sur les glaciers Aru en 2016.»
Ce danger s’ajoute à une vingtaine d’autres risques qui apparaissent ou s’intensifient dans le massif. C’est notamment le cas des chutes de pierres et de blocs de roches. En cause : la dégradation du ciment des montagnes, le permafrost, causée par le changement climatique. Alors que cet été était jusque-là relativement calme, la chaleur des derniers jours a fini par amoindrir la fine glace qui tient les rochers entre eux. Mardi, trois éboulements importants ont été recensés dans le massif du Mont-Blanc (sur la face ouest des Drus, la face nord de l’aiguille du Midi et sur l’aiguille du Tacul). Ces secteurs réputés instables le deviennent encore davantage à cause du changement climatique. «Le massif du Mont-Blanc, le plus élevé des Alpes françaises, est celui qui est le plus recouvert de permafrost et donc celui qui est le plus concerné par les effets de sa dégradation depuis trois décennies, relève Ludovic Ravanel. En 2007, on comptait une dizaine d’écroulements par an, or ces dernières années, c’est plutôt plusieurs centaines par an. Ce ne sont pas des chutes de petites pierres, mais des roches de plus de 100 m3, c’est considérable.» Ecroulement accru des montagnes, glaciers déstabilisés, neige plus fragile à la surface de crevasses, érosion des moraines qui peut déclencher des glissements de terrain… «La haute montagne est l’un des milieux physiques au monde les plus affectés par le changement climatique, résume Ludovic Ravanel. Cela complique un peu la vie des alpinistes, parce que les itinéraires sont plus difficiles et peuvent s’avérer plus dangereux.»
Couloir de la mort. Pour l’heure, le chercheur ne constate pas de hausse du nombre d’accidents dans le massif du Mont-Blanc, car les guides de haute montagne se sont adaptés. Le risque de chutes de roches étant à son minimum entre 7 et 8 heures du matin, les traversées des couloirs dangereux se font désormais à l’aube. Ainsi, lors d’une ascension du mont Blanc, pour pouvoir franchir le couloir du Goûter, surnommé le «couloir de la mort» en raison des éboulements massifs, les alpinistes doivent s’armer de patience. Il faut aujourd’hui compter trois jours d’expédition au lieu de deux pour réaliser un passage matinal plus sécurisant à la fois à l’aller et au retour. Mais à l’avenir, cet itinéraire deviendra – comme d’autres – infréquentable l’été, prévient Ludovic Ravanel : «Il faudra attendre l’automne, le printemps voire l’hiver pour faire ce type d’ascension.»